Facebook est-il aussi néfaste que Chamath Palihapitya le prétend ? Sociologues et psychologues nous répondent

par Claire CAMBIER
Publié le 13 décembre 2017 à 20h51

Source : Sujet JT LCI

ANALYSE - Chamath Palihapitya dit ressentir une "immense culpabilité" à avoir aidé à construire Facebook. Cet ancien cadre du réseau social se montre sévère et liste ses nombreux effets néfastes, du délitement du tissu social à la désinformation. LCI a cherché à démêler le vrai du faux auprès de sociologues et de psychologues.

Il n'est pas le premier – et certainement pas le dernier – à regretter aujourd'hui d'avoir travaillé pour Facebook.  Chamath Palihapitya était jusqu'à 2011 le vice-président en charge de la croissance de l'audience du réseau social. Aujourd'hui, alors que 2 milliards d'"amis" s'y likent tous les mois, il en est devenu l'un des plus virulents détracteurs. Il estime même que ses outils "détruisent le fonctionnement de la société". La sentence est dure, mais est-elle juste ? C'est ce que nous avons cherché à savoir.

"Des outils qui déchirent le tissu social"

Parmi les principales critiques évoquées, Palihapitya dénonce un affaiblissement des relations sociales. "Je pense que nous avons créé des outils qui déchirent le tissu social", a-t-ainsi affirmé lors d'un débat à la Stanford Graduate School of Business. Interrogée par LCI.fr sur le sujet, Monique de Kermadec, psychologue et auteure de l'ouvrage "Un sentiment de solitude", se veut plus nuancée. Les réseaux sociaux peuvent être "potentiellement positifs car ils permettent de nouer des échanges", nous explique-t-elle, mais ceux-ci ne doivent pas être réalisés "au détriment d'autres relations", nouées dans la vie de tous les jours. Ces échanges virtuels ne remplaceraient donc pas les relations humaines. Même son de cloche pour le Pr Georges Brousse, psychiatre : "Internet est un fabuleux outil de communication", à travers les réseaux sociaux, avance-t-il dans un premier temps. On y "parle de soi", on "discute avec ses amis", on "peut aussi y engranger de nombreuses connaissances". Pourtant il ne faut pas en oublier d'"interagir avec son environnement" – non virtuel. La critique est donc plutôt mitigée. 

Pierre-Alain Mercier, sociologue au CNRS le résume assez bien dans son article "Liens faibles sur courants faibles". S'il reconnait que les nouveaux outils numériques ne peuvent permettre de mettre sur un pied d'égalité échanges sur les réseaux et échanges "réels", il indique cependant qu'on ne peut en déduire que la sociabilité sur ces plateformes "n’est que virtuelle, sauf à soutenir que seules les relations de co-présence sont réelles, et que toutes celles qui passent par les télécommunications sont de l’ordre du fantasme, de l’illusion, ou que leur demi-existence n’est légitimée que par les seules rencontres concrètes qui les ponctuent."

Dans les coulisses de FacebookSource : Sept à huit
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Le sociologue Emmanuel Lazega a lui une autre grille de lecture. "Ce que l'on observe, c'est que les réseaux sociaux enferment les individus dans des milieux confinés" : mêmes hobbies, mêmes aspirations, mêmes idées politiques, même classe sociale, "ils sont confinés dans un entre soi". L'on perd alors diversité, ouverture, hétérogénéité, indispensables au vivre ensemble. 

"Absence de civisme"

Chamath Palihapitya ne se limite pas à l'affaiblissement des relations, il évoque également une absence de civisme. Difficile de savoir ce qu'il veut dire exactement par là. La psychologue Monique de Kermadec souligne davantage la potentielle violence des échanges : "Dans la 'vraie' vie, nous sommes obligés de composer avec l'autre, de faire un effort, tandis que sur les réseaux sociaux, on peut être en contact avec une personne et l''abandonner'" en un clic. La situation opposée, lorsqu'un personne est  envahissante, peut se révéler tout aussi brutale.

"Désinformation" et "fake news"

Dans un autre registre, celui qui était en charge de faire rentrer Facebook dans la vie de plus en plus de friends à travers le monde, fustige la désinformation qui circule sur le réseau social. Là-dessus, Emmanuel Lazega ne le contredira pas. Le réseau social favorise, selon lui, "l'intoxication des internautes de manière très ciblée". De fausses informations circulent, déjà un mauvais point, mais ce n'est pas tout, ces fausses informations sont désormais adaptées aux différents profils des individus. Et le sociologue de citer l'ingérence russe dans l'élection américaine – entre autres. "Le mode viral de l’agrégation et du fonctionnement des réseaux sociaux est le même que celui qui propage la rumeur - qui serait à l’information ce que la liaison par réseau est à l’amitié véritable -, pour laquelle les techonologies d'information et de commuication (TIC) constituent un merveilleux accélérateur et amplificateur", abonde  Pierre-Alain Mercier.

"Les boucles fonctionnant sur la dopamine"

Au-delà du réseau lui-même, Chamath Palihapitya pointe du doigt les "likes", les "cœurs", les "commentaires" soulignant qu'ils agiraient comme de la "dopamine" et joueraient ainsi sur la vulnérabilité psychologique des utilisateurs. Monique de Kermadec est sur ce point assez d'accord : "Une personne qui doute d'elle-même va chercher une acceptation permanente", un "like" peut "consolider l'estime qu'elle a d'elle-même" mais cela ne l'aidera malheureusement pas car "ces retours restent factices et superficielles".  

Alors quelles solutions ? Faire une pause, comme le propose l'ancien cadre de Facebook ? Pour Emmanuel Lazega, cela ne suffira pas. Selon lui, le vrai problème réside en la prise de contrôle par de grandes plateformes américaines, comme si la place publique était contrôlée par un petit nombre. Il préconise de "casser ces monopoles" pour préserver la liberté d'Internet et retrouver ses capacités d'échanges - sans filtres - et d'émancipation.


Claire CAMBIER

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