Faut-il toujours acheter un cahier de vacances en 2018 ?

Publié le 19 juillet 2018 à 12h14, mis à jour le 19 juillet 2018 à 12h36

Source : JT 13h Semaine

VACANCES J'OUBLIE RIEN - Chaque été, les parents glissent les traditionnels cahiers de vacances dans la valise des enfants. Mais sont-ils foncièrement efficaces ? Sociologue, professeur, psy et parents nous livrent leur point de vue sur cette "corvée" estivale.

Mais qui a eu cette idée folle un jour d'inventer le cahier de vacances ? Pas ce sacré Charlemagne mais bien Roger Magnard qui, en 1933, l'a créé sur une idée simple : accompagner l’enfant d’une classe à l’autre. Une spécificité made in France qui, depuis des décennies, ne cesse de faire florès (il s'agit même du seul secteur de l'édition parascolaire à afficher une hausse des ventes) et qui, s'il rassure les parents, n'en reste pas moins une épreuve plus ou moins redoutée pour les enfants. 

Les adultes d'aujourd'hui s'en souviennent encore  : "Tous les matins de 10h à 11h pendant les quasi deux mois d’été où j’étais chez mes grands-parents, c’était l’heure du cahier de vacances, nous raconte Léa, 25 ans. Ma grand-mère, ancienne institutrice, y tenait tout particulièrement. Pour elle, il était nécessaire de ne pas perdre la main pendant les vacances. Pour moi c’était une punition, une mauvaise heure à passer." De même pour Amandine, 36 ans, qui ne comprenait pas l'intérêt de ce cahier  : "Mes parents voulaient que je fasse une page par jour. Je me revois encore sur le balcon de la chambre d’hôtel faire mes exercices et ma mère les corrigeait ensuite. L’intérêt à posteriori ? J’imagine que ces exercices faisaient travailler la mémoire et que je ne perdais pas ce que j’avais appris au cours de l’année scolaire mais que c’était pénible..."

Une efficacité discutée

Mis à part créer des souvenirs d'ennui fangeux, à quoi sert réellement le cahier de vacances ? Son efficacité est-elle réelle, adaptée à notre époque 2.0 ? Pour le sociologue Michel Fize, ce rituel a clairement des limites, considérant que les enfants ont droit à un repos mérité pendant les vacances scolaires : "De la même façon que l'on parle du droit de déconnexion chez les adultes, il faudrait parler d’un droit du décrochage scolaire pour les enfants, affirme-t-il à LCI. Un temps de repos est nécessaire pour les enfants, une coupure nette." 

De là à ne rien proposer aux enfants ? "L'idéal serait qu'il y ait quelques révisions 15 jours avant la rentrée", concède le sociologue. "Mais faut-il nécessairement acheter un cahier de vacances pour ces révisions ? Je ne crois pas. Les parents, les frères et sœurs sont là pour se refamiliariser. D'autant que ce cahier suit la logique scolaire, soit la logique d'un système compétitif fondé sur le principe de l’affrontement avec l’autre reposant sur les devoirs, les leçons, les examens. Rien dans ce cahier n'incite à s'en écarter." 

Marion, 38 ans, institutrice en primaire à Marseille, déplore, elle, que les cahiers de vacances, s'ils respectent les programmes, ne prennent pas en compte l’angle pédagogique : "Les cahiers ne disent pas où sont les déficiences de l'élève ; or,  il est préférable de cibler les lacunes, on ne refait pas une année scolaire en deux mois de vacances. S'il n'y a pas eu de problème pendant l'année scolaire, je conseille aux enfants de profiter de leur vacances". L'institutrice précise, à raison, que la rentrée de septembre sert à revoir les bases, à faire des révisions et si besoin, apprendre. Le programme scolaire de l'année suivante commence seulement après. 

De la nécessité de déborder du cadre

Alain Sotto, psychopédagogue et neuropédagogue, rejoint cette idée selon laquelle le cahier de vacances sert avant tout à encourager la compétition, parfois à des âges très jeunes. Fille de prof, Florence, 42 ans, a acheté un cahier de vacances pour sa fille en première section de maternelle : "Mon approche est différente que celle de ma mère", tempère-t-elle, consciente de reproduire le schéma familial. "J’essaye vraiment de tourner ça de façon ludique et de ne jamais la forcer. Pour l’instant, ma fille y prend du plaisir !"

Pour Michel Fize, ce comportement très "scolaire" n'est pas un cas isolé de fille de prof : "Il règne une obsession de la réussite scolaire et si votre enfant sort des rails, on craint pour sa vie professionnelle, on pense déjà à sa situation sociale. Cela veut bien dire que sans réussite à l’école, vous n’êtes rien."

Il y a seulement ¼ des enfants qui les terminent et le cahier de vacances n’a d’intérêt que si l’enfant fait l’intégralité des exercices et si les parents s’investissent
Alain Sotto, psychopédagogue et neuropédagogue

Moins radical, Alain Sotto rejoint ls sociologue sur la relative inutilité de ces cahiers, les percevant comme des "alibis pour que les parents se donnent bonne conscience que leur enfant va faire quelque chose pendant ses vacances" : "Les parents considèrent leurs enfants comme des champions sportifs. Il y a seulement ¼ des enfants qui terminent les cahiers de vacances et ils n'ont d’intérêt que si l’enfant fait l’intégralité des exercices et si les parents s’investissent. Les bons élèves expédient lesdits cahiers très vite, souvent huit jours avant la rentrée".

Le psychopédagogue insiste sur le fait que l'élève a par ailleurs une mémoire de contexte. En d'autres termes, ce qui a été réalisé dans une situation (une salle de classe) a toutes les chances d’y rester : "Au moment de faire les exercices du cahier de vacances, les enfants resteront avec le maillot et les palmes. Ils seront ailleurs." 

Les alternatives au cahier existent

Autre question sérieuse qui se pose : à l'heure des jeux interactifs sur la tablette, nos bons vieux cahiers de vacances ne seraient-ils pas un tantinet obsolètes ? "Les jeux d'enseignement sur les tablettes rendent effectivement l'enfant plus actif que les cahiers de vacances, nous confie Alain Sotto. Tout simplement parce qu'avec la tablette, il a un retour immédiat que ne lui offre pas le cahier. D'autant qu'il existe des cahiers de vacances numériques gratuits, loin de ceux, manufacturés, que l'on achète en grande surface. Là où le bât blesse, c'est que rajouter des écrans pendant les vacances n'est pas non plus une solution satisfaisante."

Ok mais quelles sont les alternatives satisfaisantes du coup ? "Mieux que tous les cahiers de vacances, il faut inciter son enfant à faire des activités par lui-même, à construire tout seul, à réfléchir tout seul, à alimenter la curiosité de la découverte du lieu, à ouvrir de nouveaux champs d’intérêt comme tenir un journal, interviewer le maire du village, visiter un château. Bref, apprendre sur soi et sur les autres en faisant des activités nouvelles et non à travers un cahier qui rétrécit le champ des possibles et ne sert au fond qu'à déculpabiliser les parents". Parents, vous voilà prévenus. 


Romain LE VERN

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