Ils testent le revenu universel (2/12) : un an, c’est beaucoup et peu à la fois

par Matthieu JUBLIN
Publié le 16 mars 2018 à 7h15
Ils testent le revenu universel (2/12) : un an, c’est beaucoup et peu à la fois

ÉPISODE 2 - Tirés au sort pour recevoir 1000 euros par mois pendant 1 an, Brigitte, Caroline et Denis ont déjà passé 2 mois avec leur revenu de base. Mais l’expérimentation, qui se termine à la fin de l’année, ne leur laisse que trop peu de temps pour construire un autre projet de vie.

Ça passe vite, une année. Brigitte, Caroline et Denis* en font l’expérience. Tirés au sort par l’association Mon revenu de base pour toucher 1.000 euros par mois pendant un an, ils ont accepté de se confier, chaque mois, à LCI pour livrer leur témoignage de testeurs du revenu (quasi) universel. 

Quasi universel car l’expérience s’arrête au bout de 12 mois. En théorie, c’est pour la vie, mais les moyens de l’association Mon revenu de base sont limités : un crowdfunding qui fonctionne en continu et un tirage au sort pour désigner un nouveau bénéficiaire dès que 12.000 euros ont été récoltés. À l’heure actuelle, 4 personnes ont été tirées au sort.

Les trois premiers bénéficiaires reçoivent leur revenu de base depuis fin décembre. Il leur reste donc 10 mois pour… Pour faire quoi d’ailleurs ? Là est la question. Brigitte, Caroline et Denis n’ont pas les mêmes rêves, pas les mêmes aspirations, mais tous trois le disent : si on leur avait donné ces 1.000 euros par mois toute leur vie, ils auraient fait les choses différemment.

"Là, j’ai 12 mois pour sortir la tête de l’eau, sinon ce sera encore plus dur", confie Denis, au chômage depuis plus d’un an et demi. Ce charpentier de formation a dû arrêter son activité à cause d’un problème de dos mais, dans sa petite ville de Nouvelle-Aquitaine, les offres d’emplois ne se bousculent pas. "Une page d’annonces sur Le Bon Coin", précise Denis, qui espère "faire une saison comme agent technique dans un camping".

Ses 1.000 euros mensuels, il les utilise pour tenter de réparer son vieux camion, en panne depuis de longs mois, payer l’assurance, se racheter quelques vêtements, afin de se rendre à des entretiens d’embauche. Bref, faire ce que le RSA ne lui permettait pas.

Pas de folie, pas de vacances
Brigitte

"Si c’était un revenu de base à vie, j’aurais pu me racheter une voiture plus vite, en faisant un crédit, et chercher du travail plus facilement", estime Denis, qui reste pour l’heure limité à son village. "J’aurais eu plus de temps pour préparer une formation, ajoute-t-il. Ça dure un an. Là, ça va être compliqué. Il ne faut pas perdre son temps."

Brigitte, elle, est moins pressée. Mais elle aussi a remis à plus tard ses projets. Cette quinquagénaire qui vit en Bretagne n’a pas touché à son revenu de base. "Pas de folie, pas de vacances", assure-t-elle, même si son travail de vendeuse à temps partiel ne lui assure que des revenus modestes. 

Brigitte y voit l’influence de son éducation. "Mon père me disait toujours qu’il faut garder une pomme pour la soif !", rit-elle. Son revenu de base, c’est d’abord un "filet de sécurité" pour elle et sa fille, qui vit à la maison. "Si ç’avait été pour la vie, là on peut penser à faire des projets", poursuit-elle. Son projet, c’est de faire construire petite maison, à elle.

Insuffisant pour faire le grand saut, mais suffisant pour se l’imaginer

C’est tout le paradoxe de l’expérimentation lancée par le conseiller régional écologiste Julien Bayou et ses compères de l’association. Recevoir un revenu de base pendant un an, c’est beaucoup et peu à la fois. C’est insuffisant pour faire le grand saut, changer de travail, faire la formation dont on rêve ou encore déménager, mais suffisant pour s’imaginer cette nouvelle vie.

"Ces 1.000 euros, ça fait se poser beaucoup de questions", confirme Caroline qui a… déménagé, mais sans avoir utilisé son revenu de base. Dans une situation moins précaire que Denis et Brigitte, cette secrétaire de 50 ans a d’abord besoin de temps pour réfléchir à ses aspirations. 

"Avec 1.000 euros par mois à vie, j’aurais fait les choses différemment. D’abord j’aurais bien réfléchi à ce que je veux faire, avant d’envisager une formation pour changer de métier", explique Caroline. Elle a décidé de les économiser, pour l’année prochaine. Mais entre temps, elle a arrêté de jouer au loto, car "gagner de l’argent comme ça, ça retourne la tête".

*à leur demande, les prénoms des bénéficiaires ont été modifiés


Matthieu JUBLIN

Tout
TF1 Info