Interview de Macron : comment, en dix ans, Mediapart s'est invité dans la cour des grands

par Matthieu JUBLIN
Publié le 15 avril 2018 à 18h50, mis à jour le 15 avril 2018 à 19h08
Interview de Macron : comment, en dix ans, Mediapart s'est invité dans la cour des grands

MÉDIAS - Créé en mars 2008 par Edwy Plenel, Mediapart fête ses 10 ans en interviewant ce dimanche Emmanuel Macron, en compagnie de Jean-Jacques Bourdin de RMC. Après une décennie de scoops et quelques controverses, le site d'investigation est devenu incontournable.

Bettencourt, Karachi, Cahuzac, Tapie, Balkany, Dassault, Paul Bismuth, quotas dans le foot... Toutes ces affaires qui ont secoué la France depuis une décennie ont un point commun : c'est Mediapart, qui en a révélé tout ou partie. Lancé le 16 mars 2008, le "pure player" d'investigation créé par François Bonnet, Gérard Desportes, Laurent Mauduit et Edwy Plenel - son actuel directeur - est désormais incontournable. Ce dernier va interviewer Emmanuel Macron ce dimanche soir, avec son confrère Jean-Jacques Bourdin.

Comment Mediapart s'est-il hissé dans la cour des grands ? À son lancement, quelques mois après l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, se donne pour mission "d'inventer une réponse aux trois crises – démocratique, économique, morale – qui minent l'information en France, sa qualité et son utilité, son honnêteté et sa liberté." Pour y parvenir, le journal s'est efforcé de se développer à force de scoops, tout en préservant l'indépendance de la rédaction.

Se faire connaître par des scoops

En juillet 2008, Mediapart révèle sa première grosse affaire en évoquant les indices d'irrégularités dans l'arbitrage qui a offert plusieurs centaines de millions à Bernard Tapie. En septembre, le site révèle de nouveaux éléments dans ce qui deviendra "l'affaire Karachi", où se mêlent des soupçons de financement de la campagne d'Edouard Balladur en 1995 et l'attentat de Karachi en 2002. Mais le site n'est pas encore rentable et il faudra attendre 2010 et les révélations de l'affaire Bettencourt pour que les lecteurs s'abonnent massivement.

En 2011, le site passe la barre des 50.000 abonnés et s'éloigne pour une fois du monde politico-financier. Mediapart révèle en effet l'accord entre plusieurs dirigeants de la Fédération française de foot, dont le sélectionneur des Bleus Laurent Blanc, pour un principe de quotas discriminatoires officieux dans les centres de formation et les écoles de foot du pays, afin de limiter le nombre de joueurs français de type africains et nord-africains.

En 2012, après plusieurs révélations sur les soupçons de financement occulte de la campagne de Nicolas Sarkozy par de l'argent de la dictature libyenne, le pouvoir passe aux socialistes à l'occasion de la présidentielle. C'est alors que Mediapart sort l'un de ses scoops les plus emblématiques : l'affaire Cahuzac. L'occasion pour les journalistes d'affirmer leur indépendance par rapport à tous les partis. Et ça marche : après avoir stagné, le nombre d'abonnés repart de plus belle, et le site enregistre ses premières années dans le vert financièrement.

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Survivre aux controverses

D'autres scoops suivront, mais aussi des controverses. En 10 ans, Mediapart a connu près de 150 procédures judiciaires et 3 condamnations définitives, mais surtout des polémiques. La plus récente est la plus dure : alors que Charlie Hebdo accuse le site et Edwy Plenel d'avoir caché des informations sur l'islamologue Tariq Ramadan, accusé de viols, le directeur de Mediapart répond que l'hebdomadaire satirique participe à une campagne "générale" de "guerre aux musulmans". Le directeur de Charlie Hebdo, Riss, accuse ce dernier de "condamner à mort une deuxième fois" l'hebdomadaire, puis Manuel Valls attaque Edwy Plenel.

Plusieurs mois après la controverse, Edwy Plenel joue l'apaisement mais assume que "Mediapart a dans son identité éditoriale d'être contre toutes les discriminations et de défendre l'idée d'une France multiculturelle, diverse", dans une déclaration à l'AFP.

Garantir l'indépendance économique du journal

Prises de position tranchées, scoops retentissants... L'ADN de Mediapart est connu, mais le site se distingue également par sa vision stricte de l'indépendance. Il a d'abord été le premier média français payant uniquement sur internet et a pu atteindre une stabilité financière. "Atteignant 13,7 millions d’euros en 2017, le chiffre d’affaires a augmenté de 20 % par rapport à 2016. Le résultat net, après impôt, est de 2,2 millions d’euros, représentant 16 % du chiffre d’affaires, taux exceptionnel dans notre secteur. Au 31 décembre 2017, le nombre d’abonnés était de 140.000, après avoir frôlé les 150.000 durant la campagne présidentielle", indique Mediapart.

En plus de cette réussite économique, Mediapart a tenu à ne dépendre que de ses abonnés. "Journal économiquement indépendant, Mediapart a pour seul ressource l’abonnement de ses lecteurs. Il n’accepte aucune recette publicitaire, ne touche aucune subvention publique et ne dépend d’aucun mécène privé. Ses actionnaires non-journalistes (membre de sa Société des amis ou investisseurs individuels) s’engagent à garantir la totale indépendance de sa rédaction. Ils s’interdisent d’intervenir dans les choix éditoriaux ou le traitement de l’information", affirme la charte du journal.

Aujourd'hui, les fondateurs et les salariés de Mediapart en possèdent plus de 43% du capital. La Société des Amis et les "amis individuels" détiennent un peu plus de 18 % des parts. Le reste, environ 38% est possédé par les sociétés Doxa et Écofinance. Les fondateurs cherchent désormais à "transmettre le contrôle économique de Mediapart à son équipe" et pourraient placer le site sous l'égide d'un "fonds de dotation", une sorte de fondation à but non lucratif qui rendrait la société incessible, une fois rachetées les parts des fondateurs et des premiers investisseurs.


Matthieu JUBLIN

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