"Je ne m’arrêtais jamais, sauf pour dormir et manger" : ils racontent leur première année en médecine

Publié le 6 septembre 2018 à 14h47, mis à jour le 6 septembre 2018 à 15h30

Source : JT 20h Semaine

ETUDIANTS EXTÉNUÉS - L’Elysée a annoncé mercredi vouloir présenter un "plan hôpital" le 18 septembre prochain. Le gouvernement songerait notamment à supprimer le numerus clausus et à réformer le concours de première année de médecine, jugé "périmé" et "inefficace" par Emmanuel Macron durant sa campagne. Une bonne idée ? LCI a recueilli les témoignages d’étudiants en médecine, épuisés par cette année d'épreuves et de sacrifices.

Edouard Philippe jugeait, en février, que le concours de médecine était un "effroyable gâchis". Et pour cause : tandis que le système de santé souffre, notamment d’une pénurie de professionnels, la première année de sélection pour accéder à ces études ressemble parfois à une machine à broyer les rêves des étudiants. C’est pourquoi l’Elysée a annoncé ce mercredi 5 septembre qu’il présentera un "plan hôpital" dans deux semaines. 

Selon nos confrères de France Info, l’une des mesures consisterait à supprimer le numerus clausus, et donc à réformer le concours de première année de médecine. Une année souvent harassante que certains peinent à surmonter.

Créé en 1972 pour réguler le flux d’étudiants désirant devenir médecin, le numerus clausus est aujourd’hui fixé à un peu plus de 8.000 élèves. Pour presque dix fois plus de demandes. Alors pendant la Première Année Commune aux Etudes de Santé (PACES), il faut tout donner, pour ne pas faire partie des 85% d’élèves qui resteront sur la touche. 

"Le soir on fait des annales jusqu’à ce qu’on soit cuit" : voilà comment l’un des personnages principaux du film Première année, qui sortira ce mercredi 12 septembre, décrit les révisions d'une journée presque classique d'un apprenti praticien. Aucune pause sauf une heure pour se nourrir, le reste pour dormir. Une fiction aux airs de réalité. Thomas Lilti, le réalisateur, est passé par là. Comme beaucoup d'autres, tels Ophélia, Juliette, Fred et Marion. Quatre étudiants en médecine qui témoignent pour LCI de cette première année, de leurs souffrances et de ce qu’elle leur a apporté.

"J’ai perdu douze kilos en un an"
Ophélia, étudiante en deuxième année de médecine à Lyon

Ophélia, en deuxième année de médecine à Lyon, a passé le cap du premier coup. Non sans sacrifices. "Je ne m’arrêtais jamais, sauf pour dormir et manger. Et encore je me nourrissais très rapidement. En un an, j’ai perdu 12 kilos, alors que chez nous le repas c’est quelque-chose d’important." La cuisine était alors l'une des activités familiales qu'elle affectionnait le plus. Tout comme le basket, qu’elle pratiquait deux fois par semaine mais qu'elle a dû arrêter. Son seul répit, très rare, "ne rien faire pendant une après-midi pour me reposer". Et si c’était à refaire ? "Non, je ne pense pas." 

Juliette aussi a eu son année du premier coup. Etudiante à Clermont, elle a cependant eu une expérience plus sereine. "Je l’ai assez bien vécu par rapport à d’autres", concède-t-elle. Son secret ? La force du groupe : "On était une bande de quinze personnes qui s’entraidaient tout au long de l’année. Seul on ne peut pas s’en sortir." Cependant, quelques mois à peine après la fin de ses cours, Juliette se demande déjà quel a été l’intérêt de ce concours. "On apprend tout par cœur. Et avant l’examen on ne dort pas à cause du stress", explique-t-elle. Avant d’ajouter : "Tout ça pour tout restituer dans des épreuves de 30 minutes. Et tout oublier à la fin." Le pire selon elle :  "En stage à l’hôpital je me suis rendue compte qu’en fait, malgré tous ces efforts, je n’avais aucune notion."

Si les deux jeunes femmes ont eu une expérience différente, elles s’accordent sur un point : le problème ne vient pas de la sélection mais de la compétition qui y règne à cause des places trop restreintes. Juliette le définit même comme "pourri". Avec une telle rivalité, elle se demande comment certains se comporteront une fois médecin : "Certains savent juste apprendre par cœur, pour le reste ils sont ultra-compétitifs. C’est eux qui regardaient les notes des autres à chaque QCM, et qui ne disaient même pas bonjour." 

Elle regrette un concours qui forme des machines à répondre aux questions, au détriment d’humains. "Comment veut-on qu’ils soignent des personnes alors qu’ils ne font même pas un sourire à leur camarade ?", se demande-t-elle, affligée. Elle-même a une amie, avec qui elle a travaillé tout au long de l’année, très "humaine et  en empathie avec les autres" qui n’a pas pu passer en deuxième année. Partageant cet avis, Ophélia s'interroge : ""Je ne dis pas que c’est idiot, mais quelle est la différence entre le 341ème et le 342ème d’une liste ?" 

Des étudiants face à "un mur de travail"

Fred dresse lui aussi le même constat. En troisième année à l’Université de Lorraine, il estime que la PACES sélectionne des élèves capables d’apprendre vite et bien. Mais il ironise sur les capacités d’un tel concours à trouver des étudiants "capables d’associer des idées" et qui disposent de "caractéristiques  humaines". Le jeune étudiant a dû faire face à l’échec du redoublement. Pourtant, avec une mère dans le métier et des amis dans ces études, il avait une "quantité phénoménale d’infos pour ne pas [se] perdre dans les méandres du concours." 

Cela ne l’a pas empêché de se retrouver largué dans un milieu ultra compétitif d’un concours qu’il juge comme "pernicieux avec ses excès et son coté déshumanisant". Mais Fred pointe surtout du doigt un manque de préparation des élèves sortant du lycée, qui se heurtent à "un mur de travail" et aux classes préparatoires privées. Celles-ci avoisinent souvent les 4000 euros par an, et ne sont donc pas à la portée de tous. De quoi former un ensemble d’obstacles qui "mettent des bâtons dans les roues à des personnes souvent pleines de bonne volonté".

Lui-même, très bon élève jusqu’en terminale, a été "incapable de supporter la charge phénoménale de connaissances", expliquant comment il a rapidement décroché, d’abord en suivant les cours par vidéotransmission de chez lui avant d'arrêter complètement. Il ne sait pas s’il faut parler de burn-out. Ce dont il est certain en revanche, c’est qu’il était devenu "incapable de reprendre le travail et de sortir de chez [lui]". Une humiliation. "J’ai mal vécu cet échec", admet-il avant d'ajouter qu'il en retire néanmoins "le sentiment d’avoir beaucoup appris sur [lui], d’avoir mûri et gagné en humilité." Malgré quelques années d’expérience, la première restera de toute façon inoubliable.

La PACES est l’incipit d’une bien triste nouvelle
Fred, étudiant en troisième année de médecine en Lorraine

Même chose pour Marion. Actuellement en neuvième année, elle se rappelle très distinctement du concours. Elle a même encore en tête la date du début de sa prépa ,"le 25 août alors qu’en juin je sortais du lycée". Elle se souvient de la solitude de sa petite chambre étudiante. De son footing une fois par semaine seulement pour prendre l’air. Selon elle toutefois, si l'accession à la première année est difficile, elle n’est que le début d’études - et d'un métier - tout aussi difficiles. "L’esprit du concours est celui d’une profession : il faut se plier aux règles et ne pas broncher." 

Une vision des choses reprises à son compte par Fred. "La PACES est l’incipit d’une bien triste nouvelle", se désole-t-il, relevant que cet esprit de compétition ne disparaît jamais vraiment. "Toute notre scolarité, nous étudions la médecine en sachant qu’avant de décider de notre spécialité, nous serons tous évalués les uns par rapport aux autres, dans un nouveau grand concours à l’échelle nationale." Une référence à l'ECN (épreuves classantes nationales) passé à la fin de la sixième année, un concours que le gouvernement a déjà choisi d'enterrer. 


Felicia SIDERIS

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