Adoption : les couples homosexuels sont-ils discriminés ?

par Youen TANGUY
Publié le 17 mai 2017 à 8h30, mis à jour le 19 juin 2018 à 11h14
Adoption : les couples homosexuels sont-ils discriminés ?

ENQUÊTE - L’adoption pour les couples de même sexe a beau être légale en France depuis quatre ans, très peu ont réussi à aller au bout de ce parcours du combattant. En cause : des pays étrangers réticents, des conseils de famille "traditionnels" et des lenteurs dans le système. A l'occasion du quatrième anniversaire du mariage pour tous, LCI a mené l’enquête. Celle-ci vient d'être retenue dans la sélection de la toute première édition des OUT d'Or.

"C’est un peu au petit bonheur la chance." Ça fait un moment que Jérôme et Jimmy songent à adopter. La loi Taubira, promulguée le 17 mai 2013, leur a permis de se marier et de se lancer dans l’aventure il y a maintenant deux ans. Mais c’est loin d’être gagné. Première étape : obtenir l’agrément, ce fameux sésame essentiel à la poursuite des démarches. "Pour l’agrément en lui-même, on n’a pas eu trop de difficultés, racontent Jimmy et Jérôme, tous les deux restaurateurs à Montpellier. Ils l’obtiennent en février 2016. 

Une fois l'agrément en poche, le couple met toutes les chances de son côté. Il se tourne vers un opérateur français pour une adoption à l’étranger et sollicite "tous les départements de France" pour adopter un pupille de l’État dans l’hexagone. "On a été retenu dans celui de l’Hérault et placé en liste d’attente dans quatre ou cinq autres départements, mais c’est là que ça se complique", confie Jimmy.

Quatre ans après, le bilan du mariage gay en cinq chiffresSource : Sujet JT LCI
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Les adoptions à l'étranger se comptent sur les doigts d’une main
Alexandre Urwicz, président de l'ADFH

"Pour l’instant, les agréments s’obtiennent sans difficultés particulières mais après, ça ne va pas plus loin", confirme Boan Luu, porte-parole de l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL). Et les raisons sont multiples. "Etant donné que nous sommes un couple homosexuel, le choix pour des enfants à l’étranger est beaucoup plus limité." Les recours pour adopter à l’étranger sont en effet très réduits. Seule une poignée de pays de la convention de la Haye autorisent l’adoption pour des couples homosexuels : le Brésil, l’Afrique du Sud, un État de la Colombie et du Mexique et plusieurs États des États-Unis. 

"On a été rejeté par la Colombie qui n’accepte plus que les agréments de trois enfants ou plus, regrette Jimmy. Au Brésil, les enfants sont plus âgés et au Mexique il faut attendre des appels à candidature. On est bloqués." Selon Alexandre Urwicz, président et co-fondateur de l’association des familles homoparentales (ADFH), les adoptions d’enfants étrangers par des couples de même sexe "se comptent sur les doigts d’une main". Dans son association, plusieurs couples ont réussi à adopter un enfant aux États-Unis, mais, précision importante, "un des deux conjoints était franco-américain". De quoi conduire le dossier en haut de la pile. 

Des conseils de famille "traditionnels"

Alors, a-t-on plus de chances en adoptant un enfant en France ? Pas sûr. Jimmy et Jérôme attendent un (ou deux) enfant(s) depuis presque un an et demi. "On n’a pas encore eu de proposition et on ne sait pas si le fait d’être un couple de même sexe peut poser problème". Certaines associations ont répondu pour eux. 

Pour l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), certains conseils de famille - qui décident de l’attribution des pupilles de l’État - sont "traditionnels" et refuseraient d’office les dossiers déposés par les couples de même sexe. "On ne voit pas d’autres explications, détaille Doan Luu, porte-parole de l’association. Certains conseils de familles sont tenus par des associations conservatrices, soutiens de La manif pour tous, qui siègent dans ces conseils de famille". Du côté du ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, on nous indique que, à leur connaissance, "il n'y a pas dans les conseils de familles d'association confessionnelle", sans exclure que ce soit possible.

Des suspicions partagées par Alexandre Urwicz. "A travers les enquêtes de travailleurs sociaux, on peut avoir certaines réticences qui vont être maquillées". Comment ? "On va essayer de retoquer le dossier en amenant le sujet sur le terrain psychologique, voire psychiatrique, pour essayer de faire botter en touche le couple." Selon lui, il s’agit d’une "homophobie non dite". Il confirme que quelques cas lui ont été remontés mais que c’est presque impossible à prouver. 

L'anonymisation des futurs parents

Des "discriminations" qui interviennent même avant l'obtention de l'agrément parfois. Dominique et Laurence* se sont retrouvées confrontées aux "pratiques homophobes" d’une psychologue lors de leurs entretiens pour la constitution du dossier. "Elle nous a fait comprendre qu’avoir deux mamans n’était pas 'l’idéal' pour un enfant et qu’on ferait mieux de laisser tomber. Ce fut vraiment très déstabilisant."

Pour lutter contre ces "discriminations cachées", Alexandre Urwicz a sa petite idée : l’anonymisation des futurs parents. "Il faudrait que les dossiers soient étudiés à l’aveugle, comme dans le cadre des attributions des logements sociaux", estime-t-il. En clair, ne donner ni les prénoms, ni les noms, ni le sexe évidemment. 

Interrogée par LCI, la présidente de la Fédération Enfance et Familles d’Adoption (EFA), Nathalie Parent, estime que si certains conseils de famille "discriminent", c’est dans les deux sens. "De mon côté, j’ai eu des remontées de discrimination positive vis-à-vis des conseils de famille", confie-t-elle. Mais de rappeler que si "les conseils de famille font leur boulot correctement, on part des besoins de l’enfant et pas des désirs des parents". "Si un conseil de famille refuse un dossier en fonction de l’orientation sexuelle des parents, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec ce conseil."

Quand nos adhérents arrivent à adopter, c’est champagne
Boan Luu, porte-parole de l'APGL

Il n'existe pas en France de chiffres officiels sur le nombre d'adoptions pour les couples de même sexe. Selon une source au ministère de la Justice, il ne s'agit pas d'une "volonté de cacher ces chiffres", mais l'outil ne "prévoit pas de prendre en compte ces données dans les statistiques". Du côté du ministère des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes, on estime que ce serait "discriminatoire". Mais selon nos informations, la direction du ministère de la Justice a commandé une étude à la Sous-direction de la Statistique et des Études (SDSE) qui devrait être instruite au titre de l'année 2018. On devrait donc connaître les chiffres des adoptions pour les couples de même sexe début 2019.

Si les chiffres exacts sont pour le moment impossible à connaître, LCI est est en mesure d'affirmer que plusieurs couples de même sexe ont réussi à adopter un pupille de l’État, dont un couple d’hommes à Paris, avec le soutien de l’APGL. "Ça a créé énormément d’espoir parmi nos adhérents, assure Boan Luu. Sauf que cet espoir est retombé comme un soufflé. Quand nos adhérents arrivent à adopter, c’est champagne. Dans ces conditions, il ne faut pas que les politiques s’étonnent que les gens se tournent vers la GPA (ndlr : gestation pour autrui)", souffle-t-il. 

Des alternatives à prix d’or

Justement, quelles sont les alternatives pour les déçus de l’adoption ? Pour Alexandre Urwicz, il est aujourd’hui plus simple d’adopter un enfant en tant que célibataire qu’en tant que couple homosexuel. "Nous avons eu beaucoup de cas de célibataires non mariés qui ont adopté un enfant et se sont ensuite mariés avec leur conjoint(e) pour que celui-ci puisse adopter", affirme-t-il. 

Selon Nathalie Parent, les femmes se tournent majoritiairement vers la PMA (insémination artificielle), interdite en France pour les couples de même sexe mais légale en Espagne ou en Belgique. Du côté des hommes, ils sont de plus en plus nombreux à opter pour la GPA, légale dans certains États américains, au Canada ou encore en Australie, mais particulièrement onéreuse. Pour une GPA, il faudra compter entre 35.000 et 150.000 euros selon les pays contre 5.000 à 10.000 euros pour une PMA. 

"Si l'on n'arrive pas à adopter, on envisagera peut-être la GPA, nous confient Marc Et François*, deux parisiens de 31 et 33 ans. Quitte à s'endetter sur vingt ans s'il le faut".

*Les prénoms ont été changés


Youen TANGUY

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