"#MetooInceste" : sur les réseaux sociaux, le livre de Camille Kouchner brise l'omerta

Publié le 16 janvier 2021 à 21h15, mis à jour le 26 janvier 2021 à 20h52
Manifestation contre les violences sexuelles sur les mineurs, à Ajaccio le 5 juillet 2020.
Manifestation contre les violences sexuelles sur les mineurs, à Ajaccio le 5 juillet 2020. - Source : Pascal POCHARD-CASABIANCA / AFP

VIOLENCES SEXUELLES - Une semaine après la sortie de "La Familia grande", dans lequel Camille Kouchner accuse son beau-père, le politologue Olivier Duhamel, du viol incestueux de son frère jumeau, de nombreux témoignages ont inondé la toile sous le mot-clé #Meetoinceste.

Le témoignage de Camille Kouchner marquera-t-il un tournant ? Dans un ouvrage intitulé La Familia grande, la maîtresse de conférence a dénoncé les violences incestueuses commises sur son frère jumeau par son beau-père, le politologue Olivier Duhamel, lorsqu'il avait 14 ans. Un témoignage qui vient illustrer la statistique selon laquelle une personne sur dix a été victime d'inceste en France. Tabou, minimisé, le sujet est relégué à la sphère privée. Le livre de Camille Kouchner a eu l'effet d'un électro-choc, en témoignent les multiples prises de parole de victimes, samedi 16 janvier, sur les réseaux sociaux.

Sur Twitter, notamment, des milliers de messages ont inondé la toile avec le mot-dièse #Metooinceste. Parmi ces messages, des témoignages par centaines, où les victimes donnent leur âge au moment des faits. Pour la plupart, elles décrivent ensuite les violences subies, et par qui, sur le modèle du mouvement #Metoo, qui a enclenché une vague de dénonciation des agressions et harcèlements sexuels en 2017." La première fois, j'avais 3 ans, mon cousin avait 14 ans. Effroi. Trauma à vie et amnésie pendant des années. Sortie du silence catastrophique", raconte un homme dans un post. 

"Mon grand-père", "mon père", mon frère". Dans les témoignages publiés sur Twitter, les auteurs sont majoritairement masculins. Un constat représentatif de la réalité puisque selon l'enquête consacrée par Le Monde au phénomène, dans 96% à 98% des cas, ce sont des hommes qui les perpétuent. "C'était mon grand-père. J'avais encore l'âge de faire la sieste après le repas de midi. Lui aussi faisait la sieste. En vacances chez mes grands-parents je faisais la sieste avec lui dans le lit de mes grands-parents", déclare une jeune femme sur le réseau social Twitter. 

Je pensais que c'était ma faute
Une victime d'inceste sur Twitter

Souvent, les victimes évoquent le sentiment de culpabilité qui les rongeaient à l'époque. "J'avais 10 ans et mon oncle 18. J'ai culpabilisé pendant des années parce que je pensais que c'était de ma faute", raconte une autre jeune femme. À ces messages, d'autres répondent "Vous n'y êtes pour rien" ou bien "Je vous crois", comme la militante féministe Caroline De Haas, créatrice du collectif #NousToutes. 

Selon le collectif féministe, ces témoignages viennent confirmer ce que disent et répètent depuis de nombreuses années les professionnels de la protection de l'enfance : "Les personnes qui commettent le crime d'inceste viennent de tous les milieux", les adultes réagissent "peu ou mal" et les signaux envoyés par les victimes "ne sont pas entendus". 

Le débat sur l'imprescriptibilité de l'inceste relancé

Les victimes souhaitent aussi faire bouger les lignes sur le plan juridique. De nombreuses militantes en ont profité pour interpeller Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles. Ce qu'elles réclament ? L'imprescriptibilité des crimes incestueux. Au moment d'écrire ses lignes, le ministre n'avait pas répondu à leurs sollicitations. La commission indépendante pour lutter contre l'inceste et les violences sexuelles qu'il a installée a toutefois pour mission de se prononcer sur cette question juridique hautement sensible. Ce que le secrétaire d'État a rappelé dans une succession de tweets, ce dimanche après-midi, où il qualifiait l'inceste de "crime sans cadavre".

Actuellement, l'auteur d'un crime incestueux peut être poursuivi vingt ans après les faits. Ainsi Olivier Duhamel - accusé d'avoir commis un inceste dans les années 80 - ne peut pas - avec la loi actuelle - être condamné par la justice française. "Il s'agit de crimes de masse, systémiques, d'une violation des droits humains extrêmement graves. On peut parler de guerre contre les enfants", plaidait la psychiatre Muriel Salmona, partisane de la mesure, auprès de LCI. Pour rappel, seuls les génocides ou bien les crimes contre l'humanité peuvent faire l'objet d'une imprescriptibilité.

Aussi très active sur Twitter, la psychiatre se bat depuis des années contre l'impunité quasi-totale des pédocriminels. " Pour rappel, seules 10% des victimes, mineures et majeures, portent plainte pour viol. 74% sont classées sans suite. Seulement 1% de l’ensemble des plaintes pour viols vont accéder à la justice en cours d’assise. ", affirmait-elle toujours dans LCI. Selon cette spécialiste, les victimes mettent au moins plus de dix ans à parler.

Lorsqu'elles subissent ces violences, elles sont aussi trop jeunes pour mettre des mots dessus. Parfois, elles oublient avant que cela revienne plusieurs années plus tard. "Vers l’âge de 4 ans, j’ai été abusée par un grand cousin de 16 ans, à plusieurs reprises, chez moi, dans ma chambre. Des actes qui m’ont énormément perturbée et ont entraîné une amnésie traumatique. Je m’en suis souvenue à 10 ans... choquée, bouleversée et révolté", illustre une femme. 

Le livre de Camille Kouchner libère-t-il la parole des victimes ? Pas exactement. En réalité, une partie des victimes parlent mais ne sont pas toujours écoutées. "70% des victimes parlent, [...] les trois quarts ne sont pas entendues et seulement 12% seront protégées", précise Muriel Salmona dans Mediapart. Un mécanisme de mise au silence que le livre de Camille Kouchner permettra peut-être d'aider à dégripper.

Les enfants victimes d'inceste peuvent contacter le 119


La rédaction de TF1info

Tout
TF1 Info