Pourquoi ce besoin d’écrire autant (surtout sur les réseaux sociaux) ?

par Sibylle LAURENT
Publié le 24 novembre 2015 à 10h15
Pourquoi ce besoin d’écrire autant (surtout sur les réseaux sociaux) ?

DES MOTS SUR LES MAUX - Depuis les attentats du 13 novembre, les témoignages, lettres ouvertes, coups de gueule ou appels à l’unité se sont multipliés, prenant parfois une résonance mondiale via les réseaux sociaux. Une catharsis nécessaire ? Le point avec Abdel Halim Boudoukha, maître de conférences en psychologie clinique et pathologique à l’université de Nantes.

Ecrire. Pour témoigner, interpeller, ou… digérer. Après les attentats de vendredi, les témoignages, lettres ouvertes, coups de gueules se sont multipliés sur les réseaux sociaux. Certains, abondamment "likés" ou partagés, ont même fait le tour du monde . Ecrivains, bloggeurs , mais aussi et surtout des centaines d'inconnus ont pris la plume, ou plutôt le clavier. Ils ont dit leur peur, leur incrédulité, leur douleur, ils ont appelé à garder espoir, ils ont voulu raconter leur soirée du 13 novembre. Bref, ils ont essayé d’expliquer avec leurs mots leur ressenti. Certains dans des tribunes emplies de bons sentiments, d’autres avec des mots secs, des phrases courtes. Pourquoi ce besoin de se raconter aux autres ? Pour s’en débarrasser ? Pour apporter leur mot au débat ? Tentative de réponse avec Abdel Halim Boudoukha maître de conférences en psychologie clinique et pathologique à l’université de Nantes.

Pourquoi ce besoin d’écrire ses sentiments sur les réseaux sociaux ?
Aujourd’hui, on fait face à un évènement à la tonalité dramatique telle qu’il ne peut être digéré, intégré psychiquement. Les terroristes ont visé des rassemblements spontanés, naturels de personnes anonymes. Tout le monde se sent concerné. Face à cela, nous ressentons tous un ensemble de pensées et d’émotions, et nous avons besoin d’en parler. C’est un besoin naturel en tant qu’humain, face à des situations importantes, qu’elles soient positives ou négatives : celui de réguler ses sentiments.

En 1998, lors de la Coupe du monde de foot, il y avait eu le même phénomène de régulation : le besoin de se retrouver, de partager, de savoir ce que l’autre pense, comment il vit l’événement. Lors des attentats de Charlie, on a eu des rassemblements organisés, qui ont permis la régulation des émotions. On avait le sentiment d’une solidité : nous étions tous unis face au terrorisme. Sauf qu’aujourd’hui, nous sommes dans un contexte d’insécurité, où les rassemblements sont interdits. Internet et les réseaux sociaux sont donc devenus des moyens de pallier ce manque.

Ecrire sur les réseaux sociaux permet donc une réelle thérapie ?
On y crée des pages, des événements, on y raconte nos pensées, et nos façons de voir les choses. Les nouvelles technologies permettent de transposer ce partage émotionnel, les réseaux sociaux permettent une rencontre. A la différence des attentats de Charlie, où l’on a plus agité l’atteinte au symbole, à la liberté d’expression, aujourd’hui, c’est la liberté de vivre qui est visée. Tout le monde se sent touché dans son être et les témoignages sur les réseaux sociaux permettent aux gens d’essayer de se réapproprier leur liberté de vivre.

Est-ce suffisant ?
Non. Les réseaux sociaux sont pertinents, car ils nous permettent de pouvoir échanger. Mais ce partage a ses limites : on n’a pas face à soi une personne dont on peut lire les réactions faciales, qui peut nous prendre dans ses bras. Un sourire, sur internet, c’est un smiley. Mais nous n’avons pas besoin que de verbal. Du coup, on va sans doute avoir tendance à multiplier les témoignages, les écrits, les prises de parole.

De la même manière, la transposition d’une volonté sur internet ne correspond pas forcément à la réalité. En cela, les réseaux sociaux mènent à une impasse, comme le montrent tous ces appels à aller en terrasse, qui n’ont pas forcément eu beaucoup d’impact dans la réalité, car tout rassemblement est entouré d’une sorte de crainte, d’une insécurité palpable. Et au final, si je lance un évènement pour aller dans un café, et si je m’y retrouve seul, ça va plutôt perpétuer le sentiment de malaise. Au final, cette régulation des émotions va se faire, mais cela prendre beaucoup de temps.

Avez-vous des pistes, pour sortir de cette impasse ?
Je pense que les médias ont un rôle à jouer dans la régulation des émotions. Pour l’instant, ils ont beaucoup traité des faits. Ils doivent bien sûr les donner, mais ils doivent aussi intégrer le fait que les informations diffusées rappellent sans cesse la mort, l’insécurité. Du coup, le monde médiatique doit prendre de la distance, expliquer comment s’ajuster à cette insécurité, comment continuer à vivre, en créant les conditions du débat.

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Sibylle LAURENT

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