Prostitution des mineurs : "Les réseaux sociaux jouent à tous les niveaux"

Maëlane Loaëc | Reportage vidéo : E. Lefebvre, N. Yildiz-Bednarick, D. Blondeau et C. Marchina
Publié le 15 novembre 2021 à 21h52, mis à jour le 15 novembre 2021 à 22h22

Source : TF1 Info

INTERVIEW - Du recrutement des jeunes victimes à la mise en contact avec les clients, les outils numériques et les réseaux sociaux jouent un rôle de plus en plus central dans le phénomène de la prostitution des mineurs, décrypte Bérengère Wallaert, déléguée générale de l’association Agir Contre la Prostitution des Enfants.

En France, 7000 à 10.000 jeunes, principalement des jeunes fille, seraient concernés par ce fléau. Ce lundi 15 novembre, le gouvernement a présenté un plan interministériel doté de 14 millions d’euros pour mieux documenter et lutter contre la prostitution des mineurs qui, à l’âge des réseaux sociaux, prend une nouvelle ampleur.

Le développement récent de réseaux de prostitution via des outils numériques participe à l'aggravement du phénomène : le nombre de plaintes pour proxénétisme a augmenté de 70% en cinq ans, signe à la fois d’une plus grande dénonciation de ces actes mais aussi d’une multiplication des cas de prostitution, relève Bérengère Wallaert, déléguée générale de l’association Agir Contre la Prostitution des Enfants, qui a pris part au groupe de travail sollicité par le gouvernement.  

Quel rôle joue les réseaux sociaux dans le phénomène de prostitution des mineurs ? 

Ils y jouent à peu près à tous les niveaux. Ce qui est le plus visible, c’est que c'est par ces réseaux que les clients sont contactés, en mettant un message sur des sites de petites annonces ou sur Instagram, où l'on peut poster des photos dans des positions suggestives et renvoyer ensuite vers un site plus spécialisé. 

Les réseaux permettent aussi de recruter en amont les adolescentes. On trouve sur un certain nombre de plateformes des annonces très alléchantes, qui promettent de l'argent facile à coups de photos de mains tenant des liasses de billets, par exemple. C'est la partie émergée de l'iceberg. 

C'est aussi sur internet que l'on peut trouver les portes d’entrée à la prostitution, en commençant par exemple par être une camgirl : des jeunes filles montrent leur corps en ligne sur certaines plateformes, moyennant finance. Cela peut aller jusqu’à la masturbation, parce que pour garder leurs abonnés, elles doivent avoir des comportements de plus en plus sexuels. L’étape d’après peut être celle de la prostitution à proprement parler, c’est-à-dire de la rencontre physique avec le client.

Des jeunes filles qui ont souvent en commun une certaine fragilité
Bérengère Wallaert, de l’association Agir Contre la Prostitution des Enfants

Outre pour le recrutement des mineurs et le contact avec les clients, les contenus partagés plus largement sur les réseaux sociaux ont-ils également une part de responsabilité ? 

Oui, il faut bien voir que les réseaux sociaux et le numérique en général jouent un grand rôle dans les représentations qui imprègnent ces jeunes filles : comme tous les gens de leur génération, elles ont accès très jeunes à la pornographie, qui représente le corps comme un objet, celui de la femme en particulier. Les réseaux sociaux mettent aussi constamment en avant l'apparence. Les adolescentes se demandent souvent si elles sont belles, si leur corps est désirable. Et elles prennent conscience que leur vie, leur corps, leurs belles photos, sur Instagram ou ailleurs, se vendent. 

Il y a-t-il un profil en particulier qui est visé par les proxénètes ? 

On s'est rendu compte que ces jeunes filles étaient très différentes les unes des autres, elles ne viennent pas toutes de quartiers sensibles ou de milieu défavorisé, mais elles avaient souvent en commun une certaine fragilité. Nombre d'entre elles ont vécu des traumatismes comme des violences sexuelles, notamment intrafamiliales, mais aussi du harcèlement scolaire, qui s'est souvent joué sur les réseaux sociaux. 

C’est l’un des éléments qui participent au phénomène : une personne qui a eu des traumatismes, qui est fragilisée, est plus susceptible d'être sous emprise, ce dont les prédateurs jouent. 

Il y a aussi des jeunes garçons qui se prostituent, mais ce phénomène est moins connu, car au tabou de la prostitution s’ajoute celui de l’homosexualité, les clients étant quant à eux tous des hommes. Dans le plan interministériel, on a demandé qu'une étude soit faite sur l’ensemble du phénomène, pour mieux le documenter. 

La crise sanitaire a-t-elle eu une influence sur la constitution de ces réseaux ?

Les réseaux de proxénétisme internationaux se sont un peu rétractés pendant le confinement, au profit d’autres formes de prostitution. Il semble ainsi que la prostitution des enfants en France ait augmenté pendant la crise sanitaire, car tous les visas de tourisme étaient suspendus pour les prédateurs qui allaient "consommer" la prostitution enfantine à l'étranger, et qui se sont donc rabattus sur les réseaux sur place.  

Le contrôle difficile des réseaux proxénètes sur internet est une question centrale
Bérengère Wallaert, de l’association Agir Contre la Prostitution des Enfants

Il y a aussi certaines jeunes filles qui avaient perdu de petits jobs et qui ont cherché d'autres façons de faire de l'argent. Par ailleurs, les proxénètes sont souvent très proches de ceux qui vendent des stupéfiants. Une partie d'entre eux ont décalé leur activité de vente vers le proxénétisme, qu'il est plus facile de camoufler et pour lequel on risque moins de se faire prendre. Grâce à des récits qui nous sont remontés, on pense que le confinement a pu également jouer sur cet aspect, car il a été plus difficile de dealer de la drogue à ce moment-là. 

Le contrôle difficile des réseaux proxénètes sur Internet est d'ailleurs une question centrale. Le gouvernement travaille sur une loi visant à ce que la responsabilité de ces annonces ne porte pas sur les sites eux-mêmes, mais sur les hébergeurs, comme Google ou Facebook. Mais au-delà de ça, on aimerait que des sites hébergeurs de petites annonces puissent être reconnus proxénètes par la loi et condamnés au même titre, grâce à une jurisprudence par exemple.

Comment les parents peuvent-ils protéger au mieux leurs enfants contre ce risque ? 

La base, c’est évidemment d'instaurer un contrôle parental. Mais aussi d'être toujours dans le dialogue avec les enfants. Il faut donner libre cours à une parole sur la sexualité, sur le corps et sur le respect qu’on lui doit. Je pense que ce qui fait le lit de la prostitution des mineurs, c'est le grand silence autour de la sexualité, qui fait peur à tout le monde et dont personne ne parle. Et l'école ne remplit pas complètement sa mission à ce sujet, malheureusement. Il faudrait que les parents puissent avoir une parole plus dense et plus adulte, plutôt que de laisser à la pornographie l’éducation sexuelle des enfants. 


Maëlane Loaëc | Reportage vidéo : E. Lefebvre, N. Yildiz-Bednarick, D. Blondeau et C. Marchina

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