Réinsertion des ex-détenus : "La vraie question, c’est : 'est-ce que la société est prête à les accueillir ?'"

par Claire CAMBIER
Publié le 19 mars 2018 à 7h00
Réinsertion des ex-détenus : "La vraie question, c’est : 'est-ce que la société est prête à les accueillir ?'"
Source : MIKE LEYRAL / AFP

COMING BACK - La polémique sur le "retour" de Bertrand Cantat pose la question de la réinsertion des anciens détenus médiatisés. Le chanteur a certes le statut particulier de personnalité publique qui a fait le choix d'être sur le devant de la scène. Mais est-ce plus facile pour un "simple" Français dont l'affaire a été étalée ? Après avoir purgé sa peine, a-t-on (vraiment) le droit à l'oubli ?

Se réinsérer dans la société après un séjour en prison est toujours un parcours du combattant. Et quand l'objet de la condamnation a été étalé dans les journaux, les embûches sont encore plus nombreuses. "C’est compliqué pour les anciens détenus d’entamer un travail de réinsertion quand ils sont systématiquement ramenés à cet épisode", reconnaît Odile Desquiret, directrice du pôle socio-judiciaire au sein de l'association Espérer 95. "Déjà, quand personne n’est au courant, elles ont beaucoup de mal à s’en départir. Mais quand leur affaire a été publiée sur Internet, ça devient très compliqué. J'ai en tête un monsieur qui bénéficiait de soins à domicile. Pendant des mois, ça se passait très bien avec les infirmières, jusqu’à ce qu’elles découvrent ce qu'il avait fait et la peine qu’il avait purgée. A partir de là, elles ont arrêté la prise en charge." 

Des exemples de ce type, les professionnels en ont à la pelle. Marie Crétenot, responsable du plaidoyer à l'Observatoire International des Prisons (OIP), nous cite le cas d'un ancien détenu qui s'était installé dans un petit village. "Tout se passait bien jusqu’à la diffusion de l'émission 'Faites entrer l’accusé'", raconte-t-elle. Cette mauvaise publicité a eu des conséquences désastreuses. Cette personne, qui travaillait jusqu'à alors pour la mairie, a tout d'abord perdu son emploi. "Il y a la question de l’emploi mais aussi la question d’être accepté dans ce village" poursuit Marie Créténot. "Au-delà du licenciement, il y a la pression des habitants, la réprobation sociale et la peur. D'après les dernières nouvelles que j’ai eues, il pensait déménager."

Maintenant, c’est compliqué d’échapper aux affaires judiciaires, elles tournent en boucle
Marie Crétenot, responsable du plaidoyer à l’OIP

Selon de nombreuses associations qui accompagnent les détenus dans leur réinsertion, cette problématique est de plus en plus présente. En cause : la prolifération des émissions de faits divers et Internet. "Maintenant, c’est compliqué d’échapper aux affaires judiciaires, elles tournent en boucle", souligne-ton à l'OIP. "Le problème avec les émissions de télévision, c'est qu'on y traite les faits, l’enquête, et absolument pas ce que la personne est devenue en détention. Pour les cas les plus médiatiques, c’est beaucoup plus compliqué de se faire oublier et de se fondre dans la masse." 

Odile Desquiret se souvient ainsi d'"un monsieur qui a fait 36 ans de prison". "Il n’était pas au fait des nouveaux moyens de communication. Il a découvert Internet à sa sortie de prison et quand il a vu que son nom était sur la toile, ça a été un choc pour lui. Il est déjà  très difficile pour les anciens détenus de se dire que ce n’est pas écrit sur leur front, alors là…" Surtout, il est très compliqué de lutter et de faire valoir son droit à l'oubli. L'action d'un avocat est nécessaire mais généralement insuffisante. "Il faudrait agir sur tous les sites qui parlent de cette affaire, c’est un peu sans fin" souffle Marie Crétenot. "On n'a pas vraiment de solutions satisfaisantes et on ne voit pas bien comment ils pourraient échapper à ça."

Société "durcie"

Mais selon elle, Internet n'est pas la raison première du problème. La société se serait surtout "durcie". "Même si une personne a purgé sa peine, la logique de condamnation ne s'arrête pas" regrette la responsable du plaidoyer à l'OIP. "La vraie question, c’est 'est-ce que la société est prête à accueillir les anciens détenus ?' Ce durcissement se retrouve aussi au niveau législatif, c’est plus compliqué pour les longues peines d’obtenir des aménagements de peine."  "Je trouve que c’est de pire en pire", abonde Odile Desquiret. "La société stigmatise, elle devient plus raide avec ces questions. Il faut absolument punir. Je ne sais pas quelle représentation ont les Français de ceux qui sont en prison. C’est comme s'il n’y avait que des psychopathes, des violeurs et des grands criminels. Or ce n’est pas ça du tout."

Si les exemples évoqués concernent uniquement des hommes, c'est qu'ils sont plus nombreux derrière les barreaux. "Les femmes sont moins nombreuses, et c'est encore plus vrai pour les longues peines, mais le regard reste le même", nous confie-t-on à l'OIP. "Les femmes sont d'ailleurs plus souvent 'lâchées' par leur entourage, qu'il s'agisse de leur conjoint, voire de leur famille."

Centre de semi-liberté : un dispositif pour désengorger les prisonsSource : JT 20h Semaine

Des entreprises qui refusent les préjugés

Des anciens détenus et des associations tentent donc de changer les choses. L'association "Sortir de Prison, intégrer l’entreprise" met notamment en relation des personnes qui ont connu la prison et des entreprises. En 2013, elle a mis en place la Charte des entreprises pour la réinsertion des sortants de prison, signée depuis par des grands groupes comme Sodexo, JC Decaux ou Lafarge. 

"Ce qu'on souhaite, c'est que la personne que nous accompagnons soit jugée au même titre qu’un autre candidat, pour qu’elle ne soit pas condamnée une seconde fois", explique Héger Derrough, directrice de l’association. Une personne suivie sur deux retrouve ainsi un emploi. Pour faciliter leur insertion, leur situation est cachée. "Seul le recruteur est au courant de la situation". 

Prison ou pas : dans le quotidien des jugesSource : Sept à huit
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Une situation que l'on retrouve dans la plupart des entreprises qui souhaitent réinsérer d'anciens détenus. Pro Impec propose ainsi des stages de 15 jours dans son agence d'Amiens à d'anciens détenus suivis par l'association l'Ilôt. "15 jours, cela nous laisse largement le temps de voir à qui nous avons affaire, si la personne est motivée… et si nous pouvons l’engager ensuite", précise Monsieur Boufflet, chargé de l’encadrement des salariés. Mais une règle a été fixée : "Je ne pose jamais de question sur le passé des salariés : je ne veux pas que cela fausse mon jugement ! Je ne dis rien non plus à l’équipe, pour éviter les a priori. Et cela se passe très bien."

Au magasin Edouard Leclerc d'Amiens, Cyril Bellard recrute également des personnes suivies par l'Ilôt, qu'elles soient d'anciens détenus ou non. La personne qui s'occupe du ramassage et du tri ? "Je ne savais pas qu’il avait fait de la prison. C’est lui qui me l’a dit, et j’ai été vraiment surpris. On est toujours surpris quand on apprend qu’une personne qu’on connaît a eu affaire à la justice. Mais ça n’a rien changé pour moi. Ce qu’il a fait n’est pas mon souci, cela fait partie de sa vie privée. Le tout, c’est de savoir ce qu’il est capable de faire désormais, et j’en suis plutôt satisfait. Un jour, il m’a demandé de décaler un jour de RTT pour se rendre à un rendez-vous du JAP (juge de l'application des peines, ndlr). Je le lui ai accordé, et ça s’est arrêté là."

Des témoignages qui redonnent espoir et prouve qu'une partie de la société n'est pas opposée à leur "retour".


Claire CAMBIER

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