"Tout se passe très vite" : comment des ados basculent dans l’ultra-violence

Publié le 25 février 2021 à 10h37, mis à jour le 25 février 2021 à 18h18

Source : JT 20h Semaine

RIXE - La mort de deux adolescents dans l'Essonne ces derniers jours braque les projecteurs sur le phénomène des bandes, dont la rivalité peut dégénérer violemment pour des motifs parfois futiles. Rien que dans ce département, il y a eu une centaine d'affrontements l'année dernière, soit deux fois plus qu'en 2019. Comment l'expliquer ? On a posé la question à un psychologue.

Leurs noms renvoient souvent à leur quartier, parfois aussi à un leader charismatique. Comment expliquer le phénomène des bandes qui prend de l'ampleur et se radicalise, alors que deux jeunes ont perdu la vie en début de semaine - une adolescente de 14 ans lundi à Saint-Chéron où se sont rendus plusieurs mineurs de Dourdan pour "en découdre", et mardi, un adolescent du même âge, tué dans un nouvel affrontement à Boussy-Saint-Antoine, une autre commune de l'Essonne.

Pour tenter de comprendre, quoi de mieux que d'aller interroger les premiers concernés, des adolescents d'une cité des Yvelines, Chanteloup-les-Vignes, tristement célèbre dans les années 90 lorsque des affrontements entre bandes rivales ont viré à l'émeute. On leur a posé une question toute simple : c'est quoi une bande ? "C'est un groupe d'amis qui partage la même passion depuis l'enfance", avance un jeune homme à notre micro. Cela pourrait ressembler à la réponse de n'importe quel ado. Sauf qu'ici, il suffit d'une étincelle pour que la dite-bande bascule dans la violence. "C'est logique, demain je vais dans une autre ville, je me fais racketter, le lendemain je vais aller chercher mes amis pour y retourner", lance-t-il.

Les bandes sont constituées d'enfants qui n'ont pas eu le sentiment d'avoir une place. Ils n'ont pas eu le sentiment d'appartenir à leur famille d'abord, à l'école ensuite.
Jean-Luc Aubert, psychologue

Pour le psychologue Jean-Luc Aubert, fondateur de la chaîne YouTube, Questions de psy, "ce souci d'appartenance est propre à chacun, parce que le groupe rassure, structure et donne du sens à l'existence. Mais il faut distinguer le groupe sain du groupe malsain. Dans le premier, l'individu est respecté au même titre qu'il respecte les autres. Dans le deuxième, en revanche, l'individu n'est pas vraiment respecté. Il est inféodé au groupe. Par ailleurs, le groupe malsain se constitue contre les autres. La bande typiquement est un groupe malsain", explique-t-il à LCI. 

Retour à Chanteloup-les-Vignes où Bahran El Fakhar officie depuis trois ans comme médiateur. Tous les jours, il vient proposer à ces jeunes des activités culturelles ou sportives. Il veut élargir leur horizon pour les éloigner des sources de violence. Et elles sont nombreuses. "Les gens manquent de moyens, d'activités. Et il y a ce besoin d'exister, de montrer qu'on est le meilleur", analyse-t-il. Ce que confirme Jean-Luc Aubert : "Les bandes sont constituées d'enfants qui n'ont pas eu le sentiment d'avoir une place. Ils n'ont pas eu le sentiment d'appartenir à leur famille d'abord, à l'école ensuite. Ce ne sont pas des enfants qui ont été abandonnés, mais qui sont souvent livrés à eux-mêmes parce que les parents sont occupés ou ailleurs. Ils n'appartiennent pas non plus à l'école, et donc à la société d'une façon générale, parce que bien souvent ces enfants ne réussissent pas et ont donc un sentiment d'exclusion", souligne-t-il. 

Une sécurité et une identité

Et comme à l'adolescence on se sent plus fragilisé, il y a la tentation de se raccrocher à une bande. Le groupe apparaît ainsi comme un moyen de se défendre. "C'est surtout une sécurité. Quand on est en bande, on est protégé par la bande et c'est surtout pour ça que les jeunes se mettent ensemble", reconnaît Yazid Kherfi, le fondateur de l'association "Médiation nomade".

"Une bande, c'est d'abord une identité, renchérit Jean-Luc Aubert. C'est le groupe de tel endroit, de telle personne ou de tel lieu. Ensuite, il y a un lieu géographique qui détermine l'espace de la bande. Et enfin des règles et des lois qui sont propres à ce groupe-là"

Résultat, "dès qu'il y a quelqu'un d'autre qui vient s'immiscer dans ce groupe ou qui a un regard ou une parole, ou éventuellement qu'il y a une invasion dans la zone géographique, il peut y avoir de l'agression de la part de la bande. Et ça peut être très violent d'autant plus qu'il y a une stimulation de la part des individus entre eux au moment de l'agression", ajoute le psychologue. 

Caisse de résonance ou éléments déclencheurs des affrontements ou agressions, les réseaux sociaux cristallisent encore un peu plus le phénomène. Les jeunes filment eux-mêmes les rixes, les revendiquent et les diffusent sur internet, ce qui nourrit une guerre d'image entre bandes rivales. Et la violence n'en est que décuplée. C'est cette spirale que les autorités ont bien du mal à arrêter. "Tout se passe très vite, à l'abri du regard et de la connaissance des institutions et des adultes susceptibles d'intervenir, et donc on assiste à des violences qui peuvent dégénérer très rapidement", avance le commissaire Julien Herbaut, chef de la sûreté territoriale à la préfecture de police de Paris.

Pour tenter d'enrayer le phénomène, la police compte renforcer sa surveillance en ligne, notamment sur les réseaux sociaux. Mais pour Jean-Luc Aubert, cela passe avant tout par de la prévention. "D'abord, en faisant en sorte que l'enfant trouve sa place dans sa famille. Il faut aussi que l'école ne le marginalise pas même s'il ne réussit pas sur le plan scolaire. Il faut par ailleurs multiplier les sentiments d'appartenance sains à travers des activités culturelles ou sportives. L'inscription dans un club de sport est par exemple un sentiment d'appartenance sain", conclut le spécialiste. 


Virginie FAUROUX

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