Sécurité dans les écoles : "On se cache où, dans une classe ? On se barricade comment ?"

par Sibylle LAURENT
Publié le 24 août 2016 à 17h48
Sécurité dans les écoles : "On se cache où, dans une classe ? On se barricade comment ?"
Source : AFP

TEMOIGNAGE – Alors que le gouvernement a dévoilé les mesures prises pour assurer la sécurité des établissements scolaires, on a demandé à Julie, institutrice à Paris, comment ça se passait. Concrètement.

La rentrée n’a jamais été aussi près. Et elle sera teintée, cette année, d’un éclairage particulier : les risques terroristes qui pèsent sur les établissements scolaires, une des cibles revendiquée de Daech. Le gouvernement a annoncé ce mercredi les mesures mises en place pour assurer la sécurité des écoles. Certaines sont déjà en place depuis Vigipirate. Alors on a demandé à Julie (prénom changé), institutrice en école primaire à Paris, comment ça se passait. 

Premier exemple, un des premiers brandis par le gouvernement : l’exercice d’entraînement. Il y en avait deux obligatoires l’an dernier, il faudra désormais en prévoir trois. Ce genre d’exercice, Julie l’a déjà expérimenté : "L’an dernier, on a testé notre chaîne téléphonique d’alerte", raconte la jeune institutrice. "Sur le principe, chaque interlocuteur va prévenir un autre du danger, grâce aux téléphones qu’il y a dans chaque salle. L’équipe adopte un code, et se le transmet de classe en classe, pour que les élèves n’entendent pas qu’il se passe quelque chose d’inquiétant." Le test ça a bien marché : le jour dit, la gardienne a appelé le directeur, qui a appelé les professeurs du 1er étage, qui ont prévenu ceux du 2e… Mais Julie est réaliste. Voire carrément crue : "Ce scénario ne fonctionne que si la gardienne n’a pas été tuée en premier, vu que c’est elle qui prévient les autres, que si tous les maillons de la chaîne sont en vie… "

"On se cache où, dans une classe ?"

Avec les consignes ministérielles, l’équipe va sans doute cette année pousser l’entraînement plus loin, en testant, donc, un "attentat avec intrusion". Là encore, la belle théorie se confronte à la réalité : "Les consignes nous donnent deux options : s’enfuir, ou se barricader", expliquer Julie. "Aucune de nos classes ne ferme à clé. On nous dit aussi de pousser des armoires devant. Mon armoire, elle est pleine de livres, elle est lourde. Je ne peux pas la bouger toute seule. Sans parler du fait que j’ai trois portes dans ma classe. Et on se cache où, dans une classe ? C’est infaisable matériellement." 

Les sensibilisations aux gestes de premiers secours, elles aussi annoncées par le gouvernement pour les collégiens, se pratiquent déjà en primaire. "On en fait un peu dans le cadre du sport. La police fait aussi une formation", détaille Julie. "On ne peut pas dire tout de même que les élèves sont formés… plutôt sensibilisés. Mais trois heures dans l’année, ça s’oublie vite."

Capture écran

Surtout, surtout, les exercices, c’est bien joli, mais qu’est-ce que ça donne si cela arrive vraiment ? Ca, Julie n’en sait rien. "En cas de réelle intrusion, personne ne sait comment il réagira", reconnaît Julie. "D’autant qu’en tant qu’instituteur, on est responsable du groupe. En cas d’attentat, on nous dit de se barricader, de faire respecter le silence, allonger les élèves, gérer le stress… Je ne sais même pas comment moi, je peux réagir : panique, tétanie… Il y a les mots, les réactions, et parfois un fossé entre les deux."

"Je ne vais pas, à chaque fois que je vais travailler, suspecter tout le monde"

Autre point d’incertitude, la vigilance renforcée aux abords des établissements voulue par le gouvernement. C’est déjà plus ou moins en place, dans l’école de Julie. "On avait des patrouilles de deux policiers, qui tournaient aux heures d’entrée et de sortie des classes", raconte l’institutrice. "Mais je ne pense pas qu’un terroriste viendrait aux heures où il y a du monde." Et le reste du temps, il n’y a que la gardienne, à l’entrée. Des visiophones ont été installés cette année dans l’école de Julie. "On voit la personne, mais ça n’empêche pas de dissimuler des choses sous une veste. Et de toute façon, elle est plus ou moins obligée d’ouvrir", constate la jeune institutrice.

Bref, sans être défaitiste, Julie est réaliste : "Le gouvernement fait des choses, et ça rassure le grand public, les parents qui se posent des questions. Mais il faut aussi savoir qu’assurer une sécurité à 100%, ce ne sera pas possible. Il n’y a pas de risque zéro, c’est illusoire." Et même si cette année le risque sécuritaire est bien présent pour cette rentrée, Julie ne veut pas penser qu’à ça : "Ma rentrée, ce n’est pas du tout ça , et pour les enfants, il ne faut pas que ça soit ça non plus !", dit-elle. "Il faut continuer à faire comme avant. Cette menace, ça travaille tout le monde, on essaie de mettre en place des choses, on a des piqûres de rappel avec les réunions de pré-rentrée où on nous rappelle ces mesures, il faut vivre avec ça. Mais je ne vais pas, à chaque fois que je vais travailler, suspecter tout le monde. Je suis là pour mes élèves, et ça fait déjà de quoi bien s’occuper !"


Sibylle LAURENT

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