Stage à l'hôpital : une infirmière dénonce le calvaire des étudiantes

Publié le 16 septembre 2018 à 17h45, mis à jour le 20 septembre 2018 à 15h07
Stage à l'hôpital : une infirmière dénonce le calvaire des étudiantes

INFIRMIÈRES MALTRAITÉES - Dans son livre "Diplôme délivré(e), parole affranchie d’une étudiante infirmière", Raphaëlle Jean-Louis raconte comment elle a été le souffre-douleur d’une équipe hospitalière lors d’un stage. Une histoire loin d’être isolée. Elle explique à LCI pourquoi prendre la parole sur ce sujet est devenu essentiel.

Un cauchemar éveillé en guise de stage. Raphaëlle Jean-Louis publie ce jeudi 13 septembre son expérience d’étudiante infirmière. Dans Diplôme délivré(e), parole affranchie d’une étudiante infirmière (Michalon Editeur), elle raconte comment, pendant dix semaines, elle a été le souffre-douleur d’une équipe hospitalière. Un témoignage fort, révélateur d’un mal national. Infirmière, réalisatrice, et aujourd’hui écrivaine, elle interpelle jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. Dans une lettre, adressée au président de la République et à la ministre des Solidarités et de la Santé, et qu’elle ajoute à la fin de son livre, elle alarme sur cette situation "urgente". "Il en va de la santé de tous", rappelle-t-elle. 

Aujourd‘hui, Raphaëlle Jean-Louis a trente ans et travaille dans un Ehpad. Elle a évolué depuis l’époque où elle était étudiante. C’est cette histoire qu’elle raconte. La formation d’infirmière, en trois ans, est composée de cours, théoriques, comme dans n’importe quelle université, et d’un ensemble de stages pratiques. Raphaëlle dévoile ce qui se passe au cours de ces stages, dans le huis clos des hôpitaux.

Quand on n’a plus de prénom au bout de trois semaines, on se sent très seuls.
Raphaëlle Jean-Louis

Au début de ses études, Raphaëlle est "bien dans ses baskets". Jusqu’aux premières rumeurs, après son deuxième stage. Une de ses amies, Martiniquaise, fait face à des réflexions racistes. On demande à une autre, originaire de Marseille, de "retourner dans son pays". Et certaines subissent des réflexions très dures, démoralisatrices. La première vague d’étudiants lâche. Certains arrêtent la formation. 

Une violence que la jeune femme ne connait pas, et est loin d’imaginer. Jusqu’au jour de son deuxième stage de troisième année dans un hôpital. Dès qu'elle franchit l'entrée de la salle de soin, elle subit des intimidations. On ne l’écoute pas lorsqu’elle se présente. On lui donne des ordres. Raphaëlle, comme les autres étudiantes, devient "celle-là", "la stagiaire !", "la petite" ou même "machin". Des mots qui l’ont poussée à l’isolement : " Quand on n’a plus de prénom au bout de trois semaines, on se sent très seuls. Et différents." 

Une violence verbale qui prend aussi la forme d’insultes. Ainsi, l’une des infirmières hurle, à longueur de journée, que les étudiants sont "tous trop cons". Aujourd’hui encore, lorsque Raphaëlle entend ces mots, elle marque un silence, blessée au plus profond de sa dignité. "Ca résonne toujours en moi" admet-elle.  Outre les mots, les actions sont aussi d’un mépris considérable. Les infirmières, aides-soignantes, et agents de services hospitaliers (ASH) la tournent en bourrique. Elles la font aller de service en service, de chambres en chambres, en disant que l’une ou l’autre a besoin d’elle. Avant de l’envoyer balader. En pouffant.  

Un calvaire général

Tout change lorsqu’elle se rend compte que les étudiantes, souvent plus jeunes, font face aux mêmes sévices. L’une reçoit de l’eau de désinfection sale au visage, l’autre est traitée "d’esclave". "Elles s'en prenaient même à des filles de 17 ou 18 ans !" s’énerve Raphaëlle. Parmi elles, Célia, étudiante aide-soignante. Elle la retrouve un soir au vestiaire. A peine majeure, la jeune fille ouvre violemment son casier, se met à pleurer. Raphaëlle se rappellera toute sa vie des trois mots qu’elle lui adresse à ce moment-là : "Je suis détruite". "Alors, je me suis rendue compte que la situation était anormale, et que je n’étais pas le problème", indique-t-elle. La future étudiante cesse de se remettre en question.  Mais ne parle pas pour autant de son cauchemar. Car son seul objectif, pour elle comme pour les autres étudiantes : avoir une bonne note. Pour que ce calvaire n’ait pas été vain. En effet, son diplôme dépend de l’évaluation en fin de stage. Alors elle se laisse faire. Une omerta liée à un chantage aussi implicite qu’explicite. "Le  chantage à la note est une culture, comme le bizutage" déplore Raphaëlle. Au début, c’est sur le ton de la blague, on dit aux élèves "Ah t’as fait ça ? Bah t’auras moins cinq". Et peu à peu la parole devient sérieuse, assumée même. 

Alors, par mesure de précaution, on condamne les fenêtres
Raphaëlle Jean-Louis, dans "Diplôme délivré(e), parole affranchie d’une étudiante infirmière"

 Dans une situation où ces jeunes femmes subissent, muettes, elles trouvent toutes le même refuge : les toilettes. Symbole ultime de la solitude et "dernier refuge" des étudiantes. Le lieu où personne n’entend, personne ne voit : "Les seuls à savoir sont les quatre murs" ajoute la trentenaire. A la pensée de ce désarroi, Raphaëlle évoque les personnes plus "sensibles", que la solitude a emportées. Comme cette jeune fille, Alexandra, qui s’est suicidée lors de leurs études. Elle pense aux fenêtres de son institut de formation, qui ne s’ouvrent plus. Dans son livre, elle interpelle le lecteur : "Savez-vous pourquoi? Car il y a eu plusieurs suicides dans l’école. Alors, par mesure de précaution, on condamne les fenêtres." 

"Pour éviter d’en arriver là, il faut en parler à "quelqu’un de confiance", conseille l'infirmière. C’est ce qu’elle fait, à quelques jours de la fin de son stage. Elle se considère chanceuse d’avoir eu cette personne. "Elle m’a sauvée" concède-t-elle, remerciant cette ancienne formatrice devenue cadre dans un hôpital. Alerter, prévenir, parce que "à  un moment donné on a des droits !". Pour l’infirmière, il est venu le temps de donner un nom à ce qu’elle a vécu : une maltraitance. Poser les mots sur son expérience a eu pour elle un vrai effet libérateur. Dans l’épilogue de son récit autobiographique, elle écrit : "Je n’ai plus envie de me taire, j’ai besoin de le dire." Elle explique ainsi : "Au bout d’un moment c’était trop pour moi, dans ce silence, je n’étais plus en accord avec moi-même." Avec le recul, elle pense qu’elle ressentait une honte injustifiée : "J’ai toujours bien persévéré dans mes études, donc me dire que je suis en échec était une honte". Elle en va jusqu’à cacher ses émotions à sa mère, alors qu’elle-même est dans le métier. Aujourd’hui, la jeune femme trouve ça "curieux" et alerte donc les autres étudiants sur les dangers de se cloitrer dans ce silence. 

Prendre des coups, mais tendre la main.

Dans Diplôme délivré(e), parole affranchie d’une étudiante infirmière, Raphelle décrit  une scène particulièrement troublante. Une infirmière, exécrable, chute. Raphaëlle se trouve alors à ses côtés, et l’aide à se relever, malgré tout. Pourquoi avoir choisi de le partager dans son livre ? Elle s’explique : "Etre soignant c’est ça : se prendre des coups, mais tendre la main. Tout simplement." Une philosophie qu’elle répète aujourd’hui sur son lieu de travail. Lorsqu’un stagiaire arrive dans l’Ehpad où elle travaille, dont elle préfère taire le nom pour "protéger les résidents et la direction", elle s’émeut de ses mimiques, ses postures. "Je vois bien qu’ils ne savent jamais trop où mettre les pieds", dit-elle, attendrie. Alors, en attendant que les choses changent au plus haut de l’Etat, elle le fait déjà de son côté, comme elle peut. En redonnant confiance : "On ne sait pas ce qu’ils ont vécu, ou entendu, avant de venir, alors je leur conseille de tout lâcher, de ne pas stresser". A ses yeux, il faut rappeler l’essentiel, à chacun d’eux. Leur expliquer ce qu’ils ont malheureusement oublié : " Ils sont là pour apprendre, tout doucement et dans la bienveillance, le métier d’infirmier."


Felicia SIDERIS

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