"T'as joui?" : le compte Instagram qui libère la parole sur l'orgasme féminin

Publié le 23 août 2018 à 20h55, mis à jour le 26 août 2018 à 20h28
"T'as joui?" : le compte Instagram qui libère la parole sur l'orgasme féminin
Source : Thinkstock

JOUISSANCE - Le compte Instagram "T'as joui ?" fête à peine sa semaine d’existence. Et pourtant il réunit déjà 36.000 abonnés. Créé le 15 août par Dora Moutot, son objectif affiché est de "libérer la parole et la jouissance des femmes". Car depuis trop longtemps, le plaisir masculin prédomine sur celui des femmes.

"Ce n’est pas juste, et c’est vraiment pas sympa”. Il y a déjà dix ans, la chanteuse Lilly Allen chantait dans le refrain de "Not Fair" l’injustice qui existe entre l’orgasme des hommes et des femmes. Et depuis, rien n’a changé. D'où l’objectif du compte Instagram "T'as joui ?" d’interpeller sur cette question, et de rétablir l’égalité du droit à l’orgasme.

"Le fossé des orgasmes"

Dora Moutot dit avoir créé ce compte Instagram après être tombée sur un tweet d’une américaine qui incitait les femmes à réclamer l’orgasme. Une prise de parole qui lui a rappelé une expérience personnelle pas tout à fait agréable. "Ça m’a fait penser à une situation récente que j’avais connue avec un mec", explique-t-elle à LCI. "Il m’avait dit que c’était normal que les femmes jouissent moins parce qu’elles sont plus cérébrales et sentimentales. Alors j’ai essayé de lui expliquer qu’en fait c’était pas du tout ça le problème, mais juste une question de mauvaise technique." 

A partir de là tout s’enchaîne. Elle pousse d’abord un "coup de gueule" sur son compte personnel avant de recevoir une rafale de témoignages similaires au sien. Des histoires qui racontent toutes la difficulté des femmes à atteindre l’orgasme. Elle décide de tout publier sur une même page. Car, comme elle le relève : "Le problème de ce monde d’experts de la sexualité, que ce soit dans les magazines féminins ou dans les médias, c’est qu’on ne sait jamais de quoi ils sont experts. Alors qu’avec ce compte Instagram on donne la parole aux intéressées elles-mêmes. Sans filtre. Je laisse même les fautes d’orthographe."

J’ai encore un quota de désir à assouvir et le mec va pisser et s’endort
Une internaute

Le nom de cette différence pointée du doigt face à la jouissance porte en tout cas un nom : le "fossé des orgasmes" de l’anglais "orgasm gap". Une étude publiée l’an dernier montre ainsi que les hommes hétérosexuels ont un orgasme à chaque rapport ou presque (95%) contre seulement 65% des femmes. Des chiffres qui varient selon les études, mais qui montrent systématiquement une différence de près de 40% entre les deux sexes. Un gouffre qui s’exprime à travers les captures d’écran de "T'as joui?". Une internaute témoigne, par exemple : "Combien de fois le mec finit et moi j’ai l’impression de tomber de haut, j’ai encore un quota de désir à assouvir et le mec va pisser et s’endort."

"Ah mais vous êtes trop difficiles"

La première explication à ce fossé réside dans l’importance qu'on donne à la jouissance masculine, le nom même du "rapport sexuel" définissant l’ensemble des pratiques qui amènent à l’orgasme masculin. A l'inverse, celles qui conduisent à l’orgasme féminin ne sont que des "préliminaires". Et donc des préparatifs facultatifs. "On parle de besoin pour un homme, mais jamais du besoin d’une femme", rappelle à LCI Diane Saint Réquier, qui tient un blog sur les questions de sexualité. "Avec cette vision-là, la sexualité de la femme est directement soumise au désir de l’homme."

Or, c’est justement l’oubli du clitoris, et donc de ces dits "préliminaires" qui provoquent l'absence d’orgasme. De fait, seulement 20 à 30% des femmes y parviennent par une stimulation uniquement vaginale. Pour les autres l’activation externe du clitoris est nécessaire. Chose tout à fait logique lorsqu’on sait qu’il existe 8000 terminaisons nerveuses dans le gland de cet organe, contre 6000 pour celui du pénis. 

Dès lors, la femme n’est évidemment pas hermétique à tout plaisir. D’ailleurs, toujours selon le même rapport de 2017, les lesbiennes jouissent habituellement à 86%. C’est presque le score masculin. Rien de sorcier, donc, il faut juste savoir s'y prendre. Comme le déplore Dora Moutot, "les hommes se cachent beaucoup trop derrière le "ah mais vous êtes trop difficile" pour justifier qu’ils sont mauvais au lit".

"Je lui ai dit que je n'avais pas encore joui, et il m'a aidée"

Le but du compte "T'as joui?" vise à briser un cercle vicieux injuste : celui où la femme simule pour ne pas blesser l’ego de l’homme. Pour cause, la communication directe est parfois difficile dans une société où la femme doit suivre le mouvement de libération tout en étant une vraie Madonne. "C’est très étrange, c’est ancré dans la société, comme si les femmes devaient donner plus que recevoir", relève Dora Moutot, avant d’ajouter, avec un brin d’impertinence : "Même la Vierge Marie, elle n’a jamais kiffé !" 

Ce qui est flippant, c’est de réaliser d'un coup que plein de fois j’ai fait semblant d’avoir joui
Une internaute

Mais l’heure est venue d’expliquer que la jouissance féminine existe, qu’elle est légitime, et qu’une marge de progression est possible. Une prise de conscience qui apparaît dans un témoignage sur le compte : "Ce qui est flippant, c’est de réaliser D’UN COUP que plein de fois j’ai fait semblant d’avoir joui parce que la vraie fin 'logique' pour moi c’était quand le mec 'venait' ; après, c’est le 'repos du guerrier' donc venue ou pas venue tant pis mais c’est fini !" Et d’ajouter, entre parenthèses : "Ça ne m’avait jamais frappé jusqu’à maintenant."

Une fois que tout le monde aura compris que les femmes ont aussi le droit à l’orgasme, il ne restera plus qu’aux hommes de les écouter. Attention cependant à ne pas mettre un énième poids sur les épaules des femmes. "Il est bon qu’elles communiquent mais il faut qu’en face quelqu’un soit à l’écoute et attentif", souligne Diane Saint Réquier. "Sans nécessairement attendre de la partenaire qu’elle explique tout, il faut faire attention à ses réactions, il y a une part non négligeable de choses non-verbales dans la sexualité." 

Une recette simple qui a marché pour une heureuse abonnée du compte "T'as joui?". Elle raconte son expérience : "Hier soir j’ai vu quelqu’un. Il a joui avant moi. Normalement, j’aurais rien dit, me disant que ce n’était pas grave. Mais après avoir vu tous les commentaires sur le fait qu’on pense que c’est normal, je lui ai dit que je n’avais pas encore joui, et il m’a aidé." De quoi donner de l'espoir à toutes les femmes déçues d'un rapport sexuel. Tout ce qui importe étant de prendre du plaisir et d’oser dire, comme le faisait Lilly Allen en 2009 : "Tu es censé t'en soucier, Mais tu ne me fais jamais crier."


Felicia SIDERIS

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