Traitement des déchets, recyclage, propreté : pourquoi Paris peine (pour l'instant) à devenir une ville verte

Publié le 6 juillet 2017 à 11h00
Traitement des déchets, recyclage, propreté : pourquoi Paris peine (pour l'instant) à devenir une ville verte

(R)ÉVOLUTION – Malgré une politique écologique volontariste, la mairie de Paris ne parvient pas à faire de la capitale un fleuron des métropoles vertes. C’est même tout le contraire : la ville compte en effet parmi les plus mauvais élèves de France en matière de recyclage. Pourquoi ce retard ? Faut-il quand même être optimiste ? Éléments de réponse.

Les rares oiseaux et papillons présents n’ont pas l’air perturbés. Au commencement d’un enchevêtrement de cours typiques du Xe arrondissement de Paris, jonchées de pots de fleurs et de pavés à l’ancienne où trônent six immeubles époque 1900 et de vieux ateliers d’artiste en rez-de-chaussée, le local poubelle de la résidence sent aussi fort qu’il est étroit. La puanteur et la saleté dominent. Ensemble, mélangées, les effluves des déchets alimentaires pourris polluent la quiétude du lieu qui aurait tout pour être agréable. La chaleur du soleil au zénith n’arrange rien à la chape olfactive. Chacun passe rapidement son chemin. 

Pour la plupart, les habitants, près de 300 au total, en ont marre. Marre des odeurs, marre d’un tri sélectif plus qu’approximatif, marre de ne disposer que de quatre bacs – deux pour le tout-venant, un pour le recyclable et un, petit, de ceux que l’on donne en principe à une famille, pour le verre. Des ennuis que partagent de nombreux citadins. "On râle depuis des mois, des années, mais rien ne change", nous confie Clara, l’une des résidentes, dont les cheveux bruns frisés cachent partiellement le regard, dans lequel peut se lire son exaspération. "Tout le monde se renvoie la balle. Dans ces conditions, difficile d’espérer garder l’endroit propre. Et pour ce qui est du recyclage, c’est juste impossible de respecter les règles, même avec la meilleure volonté du monde." La jeune femme n’est pas la seule à subir ces multiples écueils. 

La Ville lumière n’est que l’ombre d’elle-même

Ces problèmes, qui semblent parfois chroniques dans certains quartiers, symbolisent en effet une bonne partie de ceux que rencontrent nombre de Parisiens. Malgré une politique écologique a priori volontariste, la municipalité menée par Anne Hidalgo ne parvient pas à faire de la Paris un fleuron des villes vertes. Pour l'heure, c’est même tout le contraire : avec un taux de recyclage de 14,2% en 2013, selon les derniers chiffres de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), la métropole compte parmi les plus mauvais élèves de France en la matière, loin derrière les départements champions. Pour ne citer qu’eux, le Finistère (51,1%), les Côtes-d’Armor (51,7%) ou la Vendée (53,5%) réussissent à valoriser plus de la moitié de leurs ordures. La moyenne nationale est, elle, de près de 35% ; plus du double de Paris. 

À Paris, en 2013, 80% des déchets étaient brûlés, 4% enfouis et 16% recyclés
Données de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie

De la transformation des détritus en compost, en biogaz – qui permet notamment de produire de l’électricité – ou en biocarburant, au recyclage plus "classique" des emballages de carton, de métal ou de verre, le manque à gagner est énorme. Et la mairie l’a bien compris. Multipliant les initiatives, comme les stations de tri Trilib’, installées dans les IIe, XIIIe, XVIIIe et XIXe, ou le traitement spécifique des déchets alimentaires, testé depuis peu dans le IIe et le XIIe, l’équipe dirigeante ne ménage pas ses efforts, à grand renfort de campagnes de communication. Les résultats se font à présent attendre. En attendant, ce sont bien plus de trois quarts des déchets qui se retrouvent incinérés (80%) ou enfouis (4%). Loin des objectifs fixés par la loi sur la transition énergétique, qui impose la valorisation de 65% des déchets à l’horizon 2025. 

Le recyclage peut parfois valoir de l’orSource : JT 20h WE
Cette vidéo n'est plus disponible

Mentalités rétives, incitations ineffectives ?

Pourquoi de tels écarts ? Un tel retard ? Comment se fait-il que l'action ne paie pas ? La faute aux autorités ? À la population ? D’aucuns critiqueront des mentalités récalcitrantes au changement et à l’écologie, d’autres des moyens ineffectifs de la mairie ou de l’Etat. Comme souvent, la réponse se trouve sans doute dans l’entre-deux. C'est en tout cas le constat de Mao Peninou, adjoint à la Propreté, pour qui les difficultés sont à mettre tant sur le compte de la densité de Paris que d'"un manque d'éducation" du public et d’une prise de conscience tardive du personnel politique - il rappelle que le tri des emballages recyclable n'est en vigueur que depuis 2003 dans la capitale (seul le verre était trié avant cette date). 

Comment avancer dès lors ? "La principale problématique réside dans l’équipement des immeubles, avec des problèmes de place, notamment dans le tissu le plus ancien de Paris. Les locales poubelles sont soit trop petits, soit difficilement accessibles. Or, le tri nécessite d’avoir une bonne accessibilité", estime l’élu, soulignant que la ville ambitionne de généraliser le mobilier urbain visible - les fameuses stations Trilib' sont par exemple de couleur violette - et facile d'accès. D'après lui, la capitale devrait également s’inspirer de ce qui se fait de bien à l’étranger. 

Avant de rendre obligatoire et de sanctionner, il faut que l’on donne vraiment les moyens à chacun
Mao Peninou, adjoint à la Propreté à la mairie de Paris

San Francisco, qui vise désormais le 100% recyclage, ou Milan, qui trie et recycle 50% de ses déchets et dont certaines caractéristiques sont comparables à Paris (densité, mentalités, capacités), figurent parmi ces modèles. "On va prendre les bonnes idées ailleurs, on regarde où elles marchent, et on tente de les adapter aux spécificités parisiennes", poursuit l’adjoint, résolument optimiste. "La prise de conscience est de plus en plus forte. Dès que l’on propose des solutions, l’accueil est très bon. La question du tri était ainsi citée dans une récente enquête de la fondation Jean Jaurès (de 2015, ndlr) comme deuxième geste civique le plus important derrière le vote." À ses yeux, "la grande complexité du tri parisien" est d'ailleurs en train d'être dissipée. 

S’il n’est en revanche pas chaud pour une fiscalité répressive ou incitative - "on y a beaucoup réfléchi" - qui favoriserait selon lui les comportements inciviques de contournement des règles, Mao Peninou n’exclut pas la mise en place d’un système d’amendes dans les prochaines années pour ceux qui se soustrairaient au recyclage. "Mais avant de rendre obligatoire et de sanctionner, il faut que l’on donne vraiment les moyens à chacun de pouvoir le faire."

L’avenir est dans le tri

À quelques encablures de la résidence au local poubelle exigu, entre les quartiers de Belleville et de Ménilmontant, des habitants ne s’avouent pas vaincus non plus face au faible taux de recyclage. Soutenus et encouragés par la mairie, via le "Plan Compost parisien 2016 – 2020", ils ont fini par imposer la mise en place de caisses de compost. Une proposition qui séduit. À la résidence du "Pressoir", près de la rue du même nom, par exemple, ces bacs en bois – dits "bases de compostage" – fleurissent çà et là dans le petit parc arboré. L’idée ? Réduire l’empreinte humaine tout en tirant des bénéfices directs. "Le compost permet de recycler ses déchets organiques, de diminuer le volume de déchets à collecter, de produire de l'engrais pour nos plantes d'intérieur et pour la résidence", explique le collectif. Fin 2016, 256 copropriétés, 186 écoles et 35 sites administratifs participaient, comme le Pressoir, à l’opération.  

Paillage, compost… Plusieurs méthodes naturelles pour jardiner en se souciant de l’environnementSource : JT 13h Semaine

De San Francisco à Milan, donc, de la Suède à l’Allemagne aussi, plusieurs pays ont saisi ces enjeux depuis longtemps, si bien que certain(e)s - c'est le cas du royaume scandinave - se permettent désormais d’importer les déchets de leurs voisins. À la clé : ressources, travail et (jolis) revenus. Si Paris reste encore loin des standards internationaux, la tendance est clairement à l’amélioration. Anne Hidalgo et ses équipes entendent bien la confirmer d’ici aux prochaines élections municipales en 2020 - "ou dans les deux années du début de la mandature suivante", confie Mao Peninou. Et plus encore en cas d’attribution des Jeux olympiques 2024 à Paris, pour lesquels la ville s’est engagé en termes de recyclage. "Nous espérons passer de bons derniers à bons premiers", souriait récemment Mao Peninou. Une (r)évolution plus que souhaitable pour les habitants mais aussi les rares oiseaux, papillons et autres espèces de la capitale.


Alexandre DECROIX

Tout
TF1 Info