Tribune des militaires : comment fonctionne le devoir de réserve, invoqué par Florence Parly pour justifier des sanctions ?

V.M
Publié le 27 avril 2021 à 19h09

Source : TF1 Info

ÉCLAIRAGE - La ministre des Armées Florence Parly a demandé des sanctions contre les signataires d'une tribune de gradés enjoignant le gouvernement à agir contre "le délitement de la France", invoquant le devoir de réserve des militaires. Qui est concerné et quelles sont les sanctions prévues ?

La tribune sur le "délitement de la France" signée par près d'un millier de militaires, dont une vingtaine d'anciens généraux, va-t-elle aboutir à des sanctions ? C'est ce qu'a promis, lundi, Florence Parly, au sujet des auteurs de ce texte, "inacceptable" et "irresponsable" selon elle, publié le 14 avril sur le blog Place Armes, puis mis en lumière le 20 avril par Valeurs Actuelles

"Pour ce qui concerne les militaires qui ont enfreint le devoir de réserve, bien entendu, des sanctions sont prévues, et j'ai donc demandé pour ceux qui seraient parmi les signataires signalés, des militaires d'active, au chef d'état-major d'appliquer les règles qui sont prévues dans le statut des militaires, c'est-à-dire des sanctions", a déclaré la ministre des Armées. 

Cette dernière a ajouté que les militaires retraités étaient, eux aussi, "astreints à un devoir de réserve", citant le cas du général Christian Piquemal, l'un des signataires, qui avait été radié en 2016 pour avoir participé à une manifestation interdite contre les migrants à Calais. Comment s'applique ce devoir de réserve ?

Une création jurisprudentielle

Cela peut surprendre, mais la notion de "devoir de réserve" n'existe pas dans la législation actuelle, ni pour les fonctionnaires dans leur ensemble, ni pour les militaires, astreints à des restrictions plus importantes au nom des intérêts du pays et de la loyauté. Les limitations à la liberté d'expression sont régies par la loi du 13 juillet 1983, qui reconnaît aux fonctionnaires la liberté d'expression, sous réserve d'un usage non excessif, ni insultant à l'égard des pouvoirs publics et de la hiérarchie. Le devoir de réserve en tant que tel est né de la jurisprudence, avec par conséquent une marge d'interprétation selon les situations. 

Pour autant, dans le cas des militaires, comme des magistrats par exemple, cette obligation de réserve est codifiée. L'article L.4121-2 du Code de la défense indique que "les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres", mais ne peuvent être exprimées "qu'en dehors du service et avec la réserve exigée par l'état militaire". "Indépendamment des dispositions du Code pénal relatives à la violation du secret de la défense nationale et du secret professionnel", poursuit le texte, "les militaires doivent faire preuve de discrétion pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont eu connaissance dans l'exercice de leurs fonctions". En outre, l'article L.4121-3 interdit aux militaires en activité "d'adhérer à des groupements ou associations à caractère politique", bien qu'ils puissent par ailleurs être candidats à une élection. Plus généralement, l'article L.4111-1 stipule que "l'état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu'au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité"

Des sanctions prévues

Comme pour tout agent public, le manquement au devoir de réserve d'un militaire en activité est évalué au cas par cas par l'autorité, qui tient compte du niveau hiérarchique, des circonstances de l'expression en cause, de l'ampleur de sa diffusion et d'éventuels termes outranciers. Toutefois, l'autorité réfléchit généralement à deux fois avant de prononcer une sanction dans ce cadre, comme on a pu le constater en 2008 lors de l'affaire "Surcouf", cette tribune d'officiers publiée par Le Figaro qui avait critiqué le "Livre blanc de la défense" sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, suscitant une enquête approfondie des services de renseignement. 

Le Conseil d'État s'est toutefois prononcé à deux reprises sur des sanctions contre des officiers qui avaient exprimé des critiques publiques à l'encontre de leur autorité hiérarchique. La première affaire concernait Jean-Hugues Matelly, chef d’escadron de la gendarmerie nationale, qui avait fait l’objet d'une radiation par décret présidentiel en 2010, pour avoir ouvertement critiqué la politique du gouvernement. En 2011, le Conseil d'État avait invalidé cette radiation, estimant que l'autorité hiérarchique disposait d'un panel de sanctions (avertissement, blâme, exclusion temporaire) qui aurait permis de ne pas aller jusqu'à cette mesure ultime, à savoir la radiation. 

La seconde affaire concerne le général Christian Piquemal - l'un des signataires du récent appel-, radié pour avoir participé début 2016 à une manifestation interdite contre les migrants à Calais. Dans ce cas, le Conseil d'État avait validé la radiation pour manquement aux obligations de réserve et de loyauté. La jurisprudence Piquemal pourrait d'ailleurs concerner une partie des auteurs de la tribune, si des sanctions devaient être prises à leur encontre. Le Conseil d'État a en effet estimé qu'il était possible de sanctionner un militaire, y compris lorsque ce dernier n'avait aucune position statutaire, car ce dernier restait tenu au respect de ses obligations professionnelles. Cela pourrait concerner tout particulièrement ces militaires de la "2e section des officiers généraux", qui ne sont plus en service actif du fait de leur âge, mais sont restés à la disposition du ministère des Armées en cas de nécessité. À condition, bien sûr, que le manquement soit constaté dans le cas de la tribune médiatisée par Valeurs Actuelles


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