INSOLITE - Son annonce fait parler d'elle : Me Patrice Reviron, avocat pénaliste, demande de l’aide aux internautes sur Twitter, pour retrouver la trace d’un bouchon, dans un dossier dont il s’occupe.
C’est un bouchon. Rouge. D’environ 4 centimètres de diamètre. Un banal bouchon de jerrican, penserez-vous, en balayant rapidement la photo du regard. Mais peut-être, justement, qu’il ne faut pas se fier aux premiers regards ? Que, peut-être, ce banal bouchon cache autre chose ?
C'est ce qu’avance l’avocat pénaliste Patrice Reviron, d'après qui ce bouchon peut innocenter son client. Rien que ça. Ce petit bouchon est une pièce versée au dossier d’une affaire d’assassinat. Sauf qu’il faut pour cela retrouver d’où il provient.
Appel à l'aide de l'avocat
Et comme il parait plus facile comme ça de retrouver une aiguille dans une botte de foin, l’avocat, au point mort dans ses recherches, a eu l’idée de faire appel à Twitter. Ou plutôt aux dizaines de milliers d’utilisateurs du réseau social. Il a posté, ce lundi après-midi, une courte annonce. Et les twittos, n’écoutant que leur âme de cyber-enquêteurs, ont accouru, s’emparant avec enthousiasme du mystère 2.0.
Appel à tous sur Twitter. Identifier l'origine de ce bouchon (retrouvé en 2010) et son usage pourrait sauver un innocent empêtré dans un dossier criminel. Pouvez-vous m'aider à avancer? Merci de RT pic.twitter.com/iimeyPyDMh — Patrice Reviron (@PatriceReviron) 5 mars 2018
Le tweet a été partagé près de 3000 fois, tandis qu’ont afflué des centaines de commentaires. Chaque option a été scrutée, étudiée, cogitée, chacun a agité les réponses parfois évidentes, parfois fumeuses. Serait-ce un bouchon de jerrican ? Un bouchon de protection d'une bouteille de gaz ? D'un réservoir de liquide de vitesse ? De bidon de chimie ? D’analyse d’urine ? De gourde en plastique ?
Dans les réponses, beaucoup de "ça ressemble à...", "ça me fait penser à...", à quoi Me Patrice Reviron répond, invariablement : "Ressemble, c’est vrai. Mais j’ai besoin de l’identique." L’approximation se paie, et les options floues sont vite écartées. Voici le problème posé.
En résumé : bague 42mm pas de vis large auto-jointant absence de résidus pehd sans marque de fabrication ni recyclage Contenant mini 1l, maxi 5l ... — architecte_631 (@631_Archi) 5 mars 2018
Il y a une lèvre intérieure pour l'étanchéité donc c'est un liquide. Pas de stries donc ce n'est pas un liquide gazeux. Pas de joint additionnel donc ce n'est pas prévu pour être réutilisé (exit jerrican donc). C'est probablement le bouchon d'un petit baril acheté en magasin. — Conall (@ConallOg) 6 mars 2018
Le souci du détail va loin ? Ah ça, oui. Chacun se sent une âme d'expert et cogite sur le moindre indice. Dégradé de couleur, trace ou non d’une collerette scellée au bouchon, marque de cassures qui correspondent ou pas, présence d’un pas de vis plus ou moins gros... autant de détails qui peuvent faire basculer l'enquête 2.0 dans un sens ou dans l'autre.
Charles travaille dans l’emballage, mais il sèche. "Le problème est qu'effectivement, ce type de bouchon peut se trouver dans plusieurs domaines comme l'industrie, la santé ou l'agro-chimie", raconte-t-il. "Le fait qu'il n'y ait pas de joint mais qu'il soit auto-jointant indique que le produit pouvait ne pas être liquide (graine ou pâte)." Bref, ce qu'on comprend surtout, c'est que Charles sèche. Mais a l’analyse fine : "Il est rare de coupler un liquide avec un bouchon car l'étanchéité n'est pas terrible. A mon avis il y avait une bague d'inviolabilité mais ça n'indique pas grand-chose. Le pas de vis m'intrigue. Ça ne ressemble pas à une bague DIN utilisée sur les bidons". Charles ne s'avoue pas vaincu, et promet de montrer les photos à ses collègues dès que possible. Tout un bureau va donc se mettre sur le coup.
ça fait un peu bouchon pour jerrican https://t.co/16j8io6NEH — Jeremy Gaultier (@jeremygaultier) 5 mars 2018
Des indications sur l’environnement dans lequel le bouchon a été retrouvé ? — Ragnarok #Team Fada (@maximepelfresne) 5 mars 2018
Les sections légèrement plus longues sur les stries verticales suggèrent que ce bouchon était muni d’une bague de sécurité, ce qui fait qu’il vient probablement d’un produit vendu dans le commerce, et pas d’un issu d’un ustensile destiné à prélèvement ou à usage en labo. — Ragnarok #Team Fada (@maximepelfresne) 5 mars 2018
J'ai connu cela en milieu hospitalier: jerrican de 5 litres d'acide( ou equivalent) pour mettre dans les machines à dialyse. Mais je n'en pas à côté de moi pour vérifier le diamètre. — jailedroit (@BattleJacques) 6 mars 2018
Quant à la la rainure/bordure intérieure elle est là pour les liquides le plus souvent. Pour les poudres en chimie il y a un sous couvercle en dessous (comme pour les poudres lessives) et donc pas cette rainure/bordure J'espère avoir été clair — flop25 (@FloFian) 5 mars 2018
Les produits ménagers n’ont pas de bouchon rouge à ma connaissance. J’opterai pour un bidon d’huile de moteur. — Arabinho (@arabinho86) 6 mars 2018
Comme je l'ai écrit plus haut, j'ai pensé à un bouchon de bidon d'eau de javel, de 5L pour le mien. Le diamètre du bouchon semble être le même. — Aurore Lefèvre (@AuroreLeBot) 5 mars 2018
Il y a aussi les Sherlock 2.0 qui ont visiblement l’âme d’enquêteur, mais peut-être pas le compas dans l'oeil...
premier truc qui me vient en tête : le bouchon d'une brique de crème fraîche liquide pic.twitter.com/rMwnf5A72t — Adrien Saumier (@adsaum) 5 mars 2018
... Ou ceux qui font de l'humour...
C'est très clairement un bouchon de vittel à la fraise ! pic.twitter.com/7ACc5yBDD0 — Fumage de Nuée (@borgnesagresses) 6 mars 2018
L'esprit en escalier des internautes penche pour des produits corrosifs : soude, essence, Destop, javel... Tout ça sous l'oeil amusé de spectateurs en ligne, qui regardent l’enquête se dérouler sur Twitter. Tout en se piquant au jeu : "Tout le monde veut que ce pauvre accusé ait manipulé un jerrican d’essence. Alors qu’il a simplement bu un jus d’orange avant de tuer le mec !", suppute Maud. Car oui, cette internaute croit bien avoir reconnu dans ce bouchon les bouteilles si particulières du primeur de la rue Daguerre, à Paris. Promis, demain, elle ira vérifier. Et un nouveau scénario de se monter...
Si pour l’instant, l’enquête, bien lancée, patine quelque peu malgré les suggestions qui pleuvent, l’avocat, en tout cas, se réjouit. Encore un peu étonné de la rapidité des réactions. "J’ai posté en milieu d’après-midi, j’ai eu des centaines de réponses – la plus éloignée étant le bouchon de Coca ! – mais cela ne cesse de croître", raconte Me Patrice Reviron, à LCI. Et, fait assez inhabituel pour être remarqué sur Twitter, le fil de discussion est très sérieux, tout entier tourné vers la quête de la Vérité vraie. "C’est ce que j’ai relevé : les gens répondent avec respect, il n’y a pas de moquerie mais plutôt une sorte d’entraide. Cela fait plaisir. Je me rends compte que, alors que le statut d’innocent est souvent maltraité, il y a encore quelque chose."
Enquêteurs 2.0
La démarche de Me Patrice Reviron est plutôt inhabituelle. D’habitude, requérir l’aide des internautes en matière de justice est plutôt du fait de la police, ou de conseils, pour des appels à témoins. Mais... pourquoi pas ? L’avocat ne brave, en l’occurrence, aucune règle, à partager ainsi une photo d’une pièce sous scellé : "L’instruction est close, et je ne révèle rien sur le dossier", détaille-t-il, se refusant à évoquer tout lieu ou élément de détail plus précis.
Pour lui, l’enjeu de cette enquête sur internet est d’importance : "C’est un bouchon qui a été versé dans un dossier d’assassinat. Ce n’est pas rien ! Et j’ai besoin de pouvoir opposer quelque chose de concret à l’accusation, en disant : 'Ce bouchon vient de là.'" N’étant pas spécialiste des bouchons, ayant interrogé des fabricants sans avoir de réponse satisfaisante, il a donc lancé cette "bouteille à la mer" : "L’idée est vraiment de se donner la chance de trouver une réponse à une question fondamentale dans un dossier fondamental. Je veux que quelqu’un qui me dise : je connais ce bouchon ! Et les réseaux sociaux me permettent de toucher un maximum de gens."
Tous ces cerveaux turbinant dans un même élan vont-ils déboucher sur quelque chose ? Impossible à dire. "Il n’y a pas de deadline", précise l’avocat. "Peut-être qu’un élément surgira dans six mois... Il n’y a rien à gagner, mais la personne qui trouvera sera récompensée par ma gratitude et celle de mon client !" Si c’est la première fois que les internautes sont sollicités par un avocat, il est cependant déjà arrivé que des anonymes motivés se prennent au jeu de l'enquête. En 2011, une quarantaine de cyber-enquêteurs s’étaient mobilisés lors de l’affaire Xavier de Ligonnès. Avec succès : ils avaient réussi à exhumer sur des forums ou réseaux sociaux des traces de la famille de Ligonnès. Des éléments qui avaient éclairé par la suite sur la personnalité de l’accusé.