D'où vient ce bouchon rouge ? Un avocat appelle à l’aide pour innocenter un client, les twittos mènent l’enquête

par Sibylle LAURENT
Publié le 6 mars 2018 à 15h54, mis à jour le 7 mars 2018 à 7h20
D'où vient ce bouchon rouge ? Un avocat appelle à l’aide pour innocenter un client, les twittos mènent l’enquête
Source : Twitter

INSOLITE - Son annonce fait parler d'elle : Me Patrice Reviron, avocat pénaliste, demande de l’aide aux internautes sur Twitter, pour retrouver la trace d’un bouchon, dans un dossier dont il s’occupe.

C’est un bouchon. Rouge. D’environ 4 centimètres de diamètre. Un banal bouchon de jerrican, penserez-vous, en balayant rapidement la photo du regard. Mais peut-être, justement, qu’il ne faut pas se fier aux premiers regards ? Que, peut-être, ce banal bouchon cache autre chose ?

C'est ce qu’avance l’avocat pénaliste Patrice Reviron, d'après qui ce bouchon peut innocenter son client. Rien que ça. Ce petit bouchon est une pièce versée au dossier d’une affaire d’assassinat.  Sauf qu’il faut pour cela retrouver d’où il provient.

Appel à l'aide de l'avocat

Et comme il parait plus facile comme ça de retrouver une aiguille dans une botte de foin, l’avocat, au point mort dans ses recherches, a eu l’idée de faire appel à Twitter. Ou plutôt aux dizaines de milliers d’utilisateurs du réseau social. Il a posté, ce lundi  après-midi, une courte annonce. Et les twittos, n’écoutant que leur âme de cyber-enquêteurs, ont accouru, s’emparant avec enthousiasme du mystère 2.0.

Le tweet a été partagé près de 3000 fois, tandis qu’ont afflué des centaines de commentaires. Chaque option a été scrutée, étudiée, cogitée, chacun a agité les réponses parfois évidentes, parfois fumeuses. Serait-ce un bouchon de jerrican ? Un bouchon de protection d'une bouteille de gaz ? D'un réservoir de liquide de vitesse ? De bidon de chimie ? D’analyse d’urine ? De gourde en plastique ?

Dans les réponses, beaucoup de "ça ressemble à...", "ça me fait penser à...", à quoi Me Patrice Reviron répond, invariablement : "Ressemble, c’est vrai. Mais j’ai besoin de l’identique." L’approximation se paie, et les options floues sont vite écartées. Voici le problème posé.

Le souci du détail va loin ? Ah ça, oui. Chacun se sent une âme d'expert et cogite sur le moindre indice. Dégradé de couleur, trace ou non d’une collerette scellée au bouchon, marque de cassures qui correspondent ou pas, présence d’un pas de vis plus ou moins gros... autant de détails qui peuvent faire basculer l'enquête 2.0 dans un sens ou dans l'autre.

Charles travaille dans l’emballage, mais il sèche. "Le problème est qu'effectivement, ce type de bouchon peut se trouver dans plusieurs domaines comme l'industrie, la santé ou l'agro-chimie", raconte-t-il. "Le fait qu'il n'y ait pas de joint mais qu'il soit auto-jointant indique que le produit pouvait ne pas être liquide (graine ou pâte)." Bref, ce qu'on comprend surtout, c'est que Charles sèche. Mais a l’analyse fine : "Il est rare de coupler un liquide avec un bouchon car l'étanchéité n'est pas terrible. A mon avis il y avait une bague d'inviolabilité mais ça n'indique pas grand-chose. Le pas de vis m'intrigue. Ça ne ressemble pas à une bague DIN utilisée sur les bidons". Charles ne s'avoue pas vaincu, et promet de montrer les photos à ses collègues dès que possible. Tout un bureau va donc se mettre sur le coup. 

Il y a aussi les Sherlock 2.0 qui ont visiblement l’âme d’enquêteur, mais peut-être pas le compas dans l'oeil...

... Ou ceux qui font de l'humour...

L'esprit en escalier des internautes penche pour des produits corrosifs : soude, essence, Destop, javel... Tout ça sous l'oeil amusé de spectateurs en ligne, qui regardent l’enquête se dérouler sur Twitter. Tout en se piquant au jeu : "Tout le monde veut que ce pauvre accusé ait manipulé un jerrican d’essence. Alors qu’il a simplement bu un jus d’orange avant de tuer le mec !", suppute Maud. Car oui, cette internaute croit bien avoir reconnu dans ce bouchon les bouteilles si particulières du primeur de la rue Daguerre, à Paris. Promis, demain, elle ira vérifier. Et un nouveau scénario de se monter...

Si pour l’instant, l’enquête, bien lancée, patine quelque peu malgré les suggestions qui pleuvent, l’avocat, en tout cas, se réjouit. Encore un peu étonné de la rapidité des réactions. "J’ai posté en milieu d’après-midi, j’ai eu des centaines de réponses – la plus éloignée étant le bouchon de Coca ! – mais cela ne cesse de croître", raconte Me Patrice Reviron, à LCI. Et, fait assez inhabituel pour être remarqué sur Twitter, le fil de discussion est très sérieux, tout entier tourné vers la quête de la Vérité vraie. "C’est ce que j’ai relevé : les gens répondent avec respect, il n’y a pas de moquerie mais plutôt une sorte d’entraide. Cela fait plaisir. Je me rends compte que, alors que le statut d’innocent est souvent maltraité, il y a encore quelque chose."

Enquêteurs 2.0

La démarche de Me Patrice Reviron est plutôt inhabituelle. D’habitude, requérir l’aide des internautes en matière de justice est plutôt du fait de la police, ou de conseils, pour des appels à témoins. Mais... pourquoi pas ? L’avocat ne brave, en l’occurrence, aucune règle, à partager ainsi une photo d’une pièce sous scellé : "L’instruction est close, et je ne révèle rien sur le dossier", détaille-t-il, se refusant à évoquer tout lieu ou élément de détail plus précis. 

Pour lui, l’enjeu de cette enquête sur internet est d’importance : "C’est un bouchon qui a été versé dans un dossier d’assassinat. Ce n’est pas rien ! Et j’ai besoin de pouvoir opposer quelque chose de concret à l’accusation, en disant : 'Ce bouchon vient de là.'" N’étant pas spécialiste des bouchons, ayant interrogé des fabricants sans avoir de réponse satisfaisante, il a donc lancé cette "bouteille à la mer" : "L’idée est vraiment de se donner la chance de trouver une réponse à une question fondamentale dans un dossier fondamental. Je veux que quelqu’un qui me dise : je connais ce bouchon ! Et les réseaux sociaux me permettent de toucher un maximum de gens."

Tous ces cerveaux turbinant dans un même élan vont-ils déboucher sur quelque chose ? Impossible à dire. "Il n’y a pas de deadline", précise l’avocat. "Peut-être qu’un élément surgira dans six mois... Il n’y a rien à gagner, mais la personne qui trouvera sera récompensée par ma gratitude et celle de mon client !"  Si c’est la première fois que les internautes sont sollicités par un avocat, il est cependant déjà arrivé que des anonymes motivés se prennent au jeu de l'enquête. En 2011, une quarantaine de cyber-enquêteurs s’étaient mobilisés lors de l’affaire Xavier de Ligonnès. Avec succès : ils avaient réussi à exhumer sur des forums ou réseaux sociaux des traces de la famille de Ligonnès. Des éléments qui avaient éclairé par la suite sur la personnalité de l’accusé.


Sibylle LAURENT

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