Oscars 2019 : comment le splendide "Roma" pourrait offrir à Netflix un triomphe historique

Publié le 24 février 2019 à 14h30

Source : Sujet TF1 Info

DECRYPTAGE - En tête des nominations aux Oscars, "Roma" d'Alfonso Cuarón fait office de grand favori auprès de bookmakers à l'approche de la cérémonie dimanche soir. En cas de victoire dans la catégorie meilleur film, ce splendide drame en noir et blanc - et en langue espagnole - offrirait à la plateforme de streaming payant Netflix une victoire riche en symboles.

L’histoire de "Roma", le grand favori de la 91e cérémonie des Oscars, mériterait un film à elle seule. Jugez plutôt… Lorsqu’il revient sur Terre après le triomphe en 2014 de son film de science-fiction épique "Gravity", couronné par 7 récompenses, dont celle du meilleur réalisateur, le Mexicain Alfonso Cuarón décide d’opérer un virage radical dans sa carrière.

20 ans après quitté son pays pour tenter l’aventure hollywoodienne, il y retourne pour raconter l’histoire vraie de sa nounou dévouée, dans le Mexico révolutionnaire des années 1970. Le tournage, qui débute à l’automne 2016, va être marqué par une attaque à mains armées qui fera plusieurs blessés. Pas de quoi décourager un cinéaste habitué à aller au bout de ses idées.

Il était une fois une Palme d'or manquée...

Reste que ce projet pas tout à fait comme les autres va le contraindre à faire un choix radical. Afin de tourner en noir et blanc et en langue espagnole comme il l'entend, Alfonso Cuarón a choisi de financer "Roma" avec sa propre société de production, Esperanto Filmoj. Mais lorsqu’au printemps 2018, il contacte les grands studios américains pour en assurer la distribution, il comprend vite que son audace fait peur.

C’est là qu’intervient Netflix, le géant du streaming qui offre au cinéaste l’assurance d’une diffusion mondiale. Marché conclu, pour une somme tenue secrète. A l’approche du Festival de Cannes, en mai, tous les observateurs sont persuadés que "Roma" sera en compétition pour la Palme d'or. Sauf que la manifestation impose de nouvelles règles, exigeant qu’un film patiente… 36 mois entre sa sortie en salles et sa diffusion sur une plateforme payante !

AFP

Que défendent ceux qui m’attaquent ? Un système où l’essentiel des salles programme des films de super-héros en laissant de moins en moins de place, voire plus du tout, au cinéma indépendant ?
Alfonso Cuaron, dans Paris Match

Refusant de se plier à la chronologie des médias française, contraire à son modèle économique, Netflix annule son séjour sur la Croisette avec pertes et fracas. Et trouve refuge en septembre à la Mostra de Venise, où "Roma" décroche la récompense suprême, le Lion d’Or. En France, le film bénéficiera d’une avant-première au Festival Lumière en octobre, dirigé par le délégué général de Cannes, Thierry Frémaux. La seule projection "officielle" du film dans un cinéma hexagonal à ce jour puisque la plateforme le proposera à ses abonnés français à partir du 14 décembre.

"J’ai l’impression d’être devenu l’otage de deux modèles économiques qui s’affrontent", explique à l’époque Alfonso Cuarón dans une interview accordée à Paris Match. "Je défendrai toujours le fait qu’un film appartient avant tout à la salle de cinéma. Mais aujourd’hui, que défendent ceux qui m’attaquent ? Un système où l’essentiel des salles programme des films de super-héros en laissant de moins en moins de place, voire plus du tout, au cinéma indépendant ? Il y a une certaine hypocrisie là-dedans."

Aux Etats-Unis, où la loi autorise les sorties simultanées au cinéma et en streaming, "Roma" a été diffusé à partir de novembre dernier dans les plus grandes villes américaines, faisant salle comble à New York et à Los Angeles. Considéré comme l’un des meilleurs films américains de l’année par la critique, il décroche en janvier le Golden Globe du meilleur film étranger et du meilleur réalisateur, confirmant l’admiration générale pour Alfonso Cuarón.

Mais le meilleur reste à venir. Le 22 janvier, "Roma" décroche pas moins de 10 nominations en vue de la cérémonie des Oscars, ex-aequo avec "La Favorite". Surprise : il est nommé à la fois dans la catégorie meilleur film et meilleur film étranger, comme l’autorise le règlement de la cérémonie. Cinq long-métrages ont eu ce privilège jusqu’ici. "Z" de Costa-Gavras, "La vie est belle" de Robert Benigni, "Tigre et Dragon" de Ang Lee et "Amour" de Michael Haneke.

Tous ont remporté l’Oscar du meilleur film étranger. Aucun l’Oscar du meilleur film. Alfonso Cuarón pourrait-il être le premier cinéaste à réaliser le doublé ? C’est ce que laissent entendre les bookmakers depuis quelques semaines. Et cela pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’aucun des 7 autres nommés ne fait autant l’unanimité. Or le splendide "Roma" a tout pour lui… et un peu plus.

A l’heure où Hollywood sature de blockbusters gavés de trucages numériques, Alfonso Cuarón ose le noir et blanc contemplatif et les longs plan-séquences, une expérience esthétique impressionnante qui n’a d’égale que celle que propose son collègue polonais Pawel Pawlikowski avec "Cold War", nommé dimanche soir dans les catégories meilleur film étranger et meilleur réalisateur. 

Il y a la forme. Et puis il y a aussi le fond. "Roma", c’est aussi l’histoire d’un pays face auquel l’actuel pensionnaire de la Maison Blanche a décidé de construire un mur, en dépit des liens étroits qui unissent les deux peuples, à Hollywood plus qu'ailleurs. C’est également le portrait d’une femme qui souffre en silence, interprétée avec force et pudeur par l’inconnue Yalitza Aparicio. Dimanche, elle pourrait bien créer la surprise face à Lady Gaga, Glenn Close et consorts.

AFP

Le seul obstacle qui se dresse devant ce triomphe annoncé, c’est peut-être finalement… Netflix. En décrochant son premier Oscar du meilleur film, la plateforme frapperait un grand coup dans l’industrie cinématographique, aux Etats-Unis et dans le monde. S’ils sont de plus en plus nombreux à imaginer le futur du Septième art sur un écran d’ordinateur, certains piliers de la profession résistent bec et ongles et pourraient voter contre "Roma" par principe.

C’est peut-être le cas de Steven Spielberg qui, dans un discours livré il y a quelques jour lors des CAS Awards, une cérémonie professionnelle, s’est livré à un véritable plaidoyer en faveur des salles obscures. "J'espère que nous continuons tous à croire que la plus grande contribution que nous puissions faire en tant que cinéastes est de donner au public l'expérience d'un film en salles", a déclaré ce champion du box-office, jusqu’ici imperméable aux sirènes de Netflix. Plus pour très longtemps ?


Jérôme VERMELIN

Tout
TF1 Info