Allemagne-Hongrie : dans les années 50, les "Magiques Magyars" ont "posé les bases du football total"

Propos recueillis par Maxence GEVIN
Publié le 23 juin 2021 à 8h00
Ferenc Puskas et ses coéquipiers à la Coupe du Monde de 1954
Ferenc Puskas et ses coéquipiers à la Coupe du Monde de 1954 - Source : STAFF / AFP

RETOUR EN ARRIÈRE - Parfois considérée comme la meilleure équipe de l'histoire, la Hongrie du début des années 1950 a révolutionné le football. Avant le match contre l'Allemagne ce mercredi, Paul Dietschy revient pour LCI sur l'épopée du mythique Feranc Puskas et de ses "Magiques Magyars".

Une histoire comme seul le football est capable d'en écrire. Au cœur des années 1950, la Hongrie s'impose comme une des, si ce n'est la, références de son sport. Porté par le génie de Ferenc Puskas et l'avant-gardisme de Gusztav Sebes, les Magyars ont ébloui l'Europe, laissant une empreinte indélébile à la postérité. Professeur d'histoire contemporaine à l'université de Franche-Comté et auteur de l'ouvrage L'Histoire du football, Paul Dietschy revient pour LCI sur l'apogée du football hongrois.

LCI : Qu'entend-on lorsque l'on parle d'"âge d'or du football hongrois" ?  

Paul Dietschy : Il s'agit de la période, après la Seconde guerre mondiale, durant laquelle la Hongrie domine le football international. De 1950 à 1954, les coéquipiers de Ferenc Puskas alignent quatre années d'invincibilité, raflant au passage les Jeux Olympiques de 1952. Ils atteignent leur apogée lors de deux matchs contre l'Angleterre, restés dans les annales. Les Hongrois dominent d'abord les Anglais à Wembley (6-3) en 1953, dans une confrontation restée dans l'histoire comme le "Match du siècle" avant de les écraser quelques mois plus tard au Népstadion de Budapest (7-1). Des confrontations symboliques dans un contexte de Guerre froide. 

Logiquement, les Magyars sont alors vus comme les principaux favoris à la Coupe du Monde 1954. Ils survolent le premier tour en surclassant notamment une Allemagne de l’Ouest dépassée (8-3) mais perdent Puskas qui se blesse à la cheville. Après des victoires convaincantes contre le Brésil (4-2) et l'Uruguay (4-2, ap) sans son "Major Galopant", la Hongrie retrouve en finale la RFA. Se produit alors l'impossible, le "miracle de Berne". Rapidement menés 2-0, les Allemands renversent le match et s'imposent 3-2. Contre toute attente, ce "Onze d'or" qui semblait invincible s'incline... au pire moment. Le football hongrois ne s'en remettra jamais. 

Comment expliquer une telle domination ? 

L’âge d’or des Magyars est préparé lors de l’entre-deux guerres. Le football local est alors très en avance sur plusieurs pays de l’Ouest, et notamment la France [humiliée 13-1 en 1927, ndlr]. Dès les années 1930, l’expertise du football hongrois est reconnue sur le plan technique et pour son sens du jeu. La Hongrie atteint même la finale de la Coupe du Monde 1938. Après la Seconde guerre mondiale, la génération des "Magiques Magyars" bénéficie de ce travail préparatoire pour exploser et changer radicalement le visage du football. 

Justement, qui sont ces "Magiques Magyars" ?

L'équipe hongroise du début des années 1950 est composée d'individualités d'exception, certaines même légendaires. On retient le quintet offensif extraordinaire avec notamment Puskas, Czibor ou Kocsis. La grande innovation technique de cette équipe se situe autour de l’attaquant Hidegkuti, un avant-centre relayeur. Il aspire les défenseurs adverses pour laisser le champ libre à ses coéquipiers en attaque. Son rôle préfigure celui du numéro 10 moderne. Dans les buts, Grosics est également un très grand gardien.

Surtout, ces individualités sont brillamment mises en valeur dans le 4-2-4 du visionnaire Gusztav Sebes. L'entraîneur pose les bases de ce qui deviendra, bien des années plus tard, le football total de Cruyff. À une époque où tous les joueurs ont une assignation défensive ou offensive précise, il demande à ses hommes de tout faire sur le terrain. Il casse totalement les codes et lance une véritable révolution du jeu. 

Cet apogée survient en pleine guerre froide, à une époque où la Hongrie est sous le joug communiste. Est-il utilisé par le pouvoir ?

En fait, dès l'entre-deux guerres, le football prend une dimension politique en Hongrie. Dans un pays récemment démembré par le traité du Trianon (1920), la sélection nationale est un moyen d’unifier un peuple meurtri. Le football amène aussi un souffle d’espoir dans une époque difficile. Après 1945, Mátyás Racosi profite de l'excellence du football national et de l'apogée des Mágikus Magyaropour pour en faire une vitrine du régime communiste. L’expertise technique perdure, mais le football devient un lieu d’expression du nationalisme hongrois. Il devient un véritable outil de propagande. 

Mais alors comment expliquer, par la suite, un tel déclin du football hongrois ? 

En novembre 1956 survient l'insurrection de Budapest, matée dans le sang par les autorités communistes. À ce même moment, la plupart des joueurs sont en déplacement européen avec le club du Budapest Honvéd. Nombre d'entre eux choisissent alors de ne pas rentrer, malgré les fortes suspensions [1 à 2 ans, ndlr] infligées par l'UEFA. Plus généralement, après cette date, un énorme exode de joueurs se produit. Beaucoup d’entre eux, dont les meilleurs, trouvent refuge à l’ouest. Ils veulent échapper au communisme, mais sont aussi très tentés par les salaires occidentaux. Quelque chose se brise dans le football hongrois. La transmission intergénérationnelle disparaît et les talents se raréfient. 

Malgré tout, le déclin du football hongrois se fait progressivement. Les Magyars se classent tout de même 3e de la Coupe d’Europe des Nations en 1964 et 4e à l'Euro en 1972. Le club local de Ferencváros gagne aussi la Coupe des villes de foire en 1965. La Hongrie garde une équipe relativement performante jusqu’à la Coupe du Monde 1978. Elle sort avec les honneurs de la compétition après notamment une défaite contre l’Argentine, future championne du monde. La qualification au Monial 1982 est la dernière avant une immense traversée du désert. 

Aujourd'hui, la Hongrie revient un peu sur le devant de la scène mais ne joue plus dans le style flamboyant auquel les Magyars nous avaient habitués. Malgré une bonne organisation, elle ne possède que peu de génie tactique et technique. 


Propos recueillis par Maxence GEVIN

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