Violences des supporters en Ligue 1 : "Après avoir été sous cloche, ils sont portés par une certaine effervescence"

Propos recueillis par Yohan ROBLIN
Publié le 24 septembre 2021 à 18h46, mis à jour le 27 septembre 2021 à 22h27
Des supporters de Lens envahissent la pelouse lors du derby contre Lille, le 18 septembre, au stade Bollaert-Delelis.
Des supporters de Lens envahissent la pelouse lors du derby contre Lille, le 18 septembre, au stade Bollaert-Delelis. - Source : FRANCOIS LO PRESTI / AFP

INTERVIEW - Depuis le début de la saison, la face de la Ligue 1 est assombrie par la multiplication des débordements de supporters. À chaque journée de championnat, son lot d'incidents. Le sociologue du sport Patrick Mignon analyse pour LCI cette dangereuse fuite en avant.

Voilà bien longtemps que la Ligue 1 ne nous avait plus offert un tel spectacle. Quasiment quarante ans. Ce début d'exercice 2021-2022 est marqué par du beau jeu et des buts à la pelle, donnant au championnat de France de faux airs de Bundesliga. Avec le retour des supporters dans les stades, après un an de huis clos, partiel ou total, lié à la crise du Covid-19, la fête n'aurait dû être que plus belle. Sauf que, depuis le début de la saison, les incidents impliquant des supporters prolifèrent dans les stades de l'Hexagone. Pas une journée ne passe sans un envahissement de pelouse, un bus caillassé ou une bagarre.

La 7e journée, disputée mercredi 22 septembre, n'a pas fait exception à ce pénible engrenage. Des violents heurts ont éclaté en marge du match Angers-Marseille. Dans le même temps, un "guet-apens" a été tendu à des supporters de Bordeaux par ceux de Montpellier, se soldant par une rixe générale qui a fait 16 blessés légers. Des agissements "totalement inacceptables" condamnés, le lendemain sur l'antenne de LCI, par le ministre de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, Jean-Michel Blanquer.

Joint par LCI, le sociologue Patrick Mignon, spécialiste des questions du supportérisme et responsable du Laboratoire de sociologie du sport de l'Institut national du sport et de l'éducation physique (INSEP), analyse les ressorts de cette escalade des violences en Ligue 1, liées à des supporters depuis leur retour dans les stades. Il estime, par ailleurs, que la question des supporters a été "oubliée" avec la crise du Covid. 

On a un peu oublié la question des supporters
Patrick Mignon, sociologue du sport

On assiste à une répétition d'incidents rarement vue en Ligue 1. Comment peut-on l'expliquer ? 

Ce début de saison est un peu le redémarrage du "vrai" football. Les supporters impliqués, globalement des Ultras, ont rongé leur frein pendant des mois. Après avoir été mis sous cloche, ils sont portés par une certaine effervescence, avec la reprise des déplacements, le retour dans les tribunes et les retrouvailles avec les autres groupes. Par ailleurs, pendant cette grande période de confinement, on a un peu oublié la question des supporters. Toutes les concertations entre les parties prenantes du supportérisme ont été mises en sommeil. À tel point qu'on n'a pas fait attention à ne pas cumuler les derbies, que l'on sait chauds et propices aux expressions fortes, pendant ces premières journées. De fait, on vit une entrée agitée, avec des situations qu'on a déjà connues à certains moments, plus ou moins diluées sur l'année.

Le retour au stade est-il perçu comme un défouloir pour évacuer l'excitation et la frustration ?

Quand on y va comme simple spectateur, on est pris par sa partisanerie pour son équipe. Le principe des groupes Ultras est justement de cultiver cette dynamique, ce caractère émotionnel, cette participation active, bruyante, éventuellement désordonnée, voire transgressive dans certains cas. Ces débordements peuvent avoir plusieurs origines : est-ce parce que ce supporters sont frustrés ou parce qu'ils ont aussi envie en étant au stade de s'affirmer à travers la position qu'ils occupent chez les Ultras ? La question des rapports entre les clubs et les supporters, aussi, est un enjeu qui fait partie de l'agitation présente. Il y a eu pas mal de conflits pendant le confinement sur les décisions, plus ou moins bien accueillies, que pouvaient être amenés à prendre les clubs. Une des stratégies sous-jacentes de ces groupes de supporters pourrait consister à faire mal aux clubs, ce qui équivaut, si l'on veut, à une manière de "se venger".

Des violences à répétition des supporters en Ligue 1Source : JT 13h Semaine

Les rencontres paraissent moins bien organisées qu'avant le Covid. A-t-on perdu la main ? 

C'est fort possible. Quand je vous dis qu'on a mis de côté la question des supporters pendant le confinement, c'est qu'effectivement tous les dispositifs assez bien rodés d'actions des clubs ont été mis sur pause, avec notamment tout le travail du référent-supporters dans chaque club, porté par les différentes concertations. Le référent-supporters œuvre pour un dialogue apaisé entre les associations de supporters, le club et les pouvoirs publics locaux. Il est en contact permanent pour faire remonter les besoins. Ce dispositif, qui fonctionnait avant, a peut-être été un peu rouillé par l'inaction. On aurait dû profiter de cette occasion pour approfondir les modes d'action et d'intervention auprès des supporters.

Il est possible de sanctionner individuellement
Patrick Mignon, sociologue du sport

Face à la répétition des incidents causés par quelques-uns, la ministre chargée des Sports Roxana Maracineanu prône des "sanctions individuelles" plutôt que collectives. Est-on en mesure de le faire ?

Les sanctions peuvent être très sévères ou pas assez, on peut en débattre. La question des sanctions prend un sens à partir du moment où elle s'inscrit dans un cadre plus général, à savoir ce qu'on veut pour les supporters et qui s'occupe de leur sort. On doit avoir la capacité de distinguer quand il y a un incident, ce qui révèle d'une personne ou d'un groupe d'individus. Quand vous allez dans un endroit où il y a des faits de violences, ce n'est pas très difficile d'identifier qui sont les fauteurs de trouble et comment le processus de violence se met en place. Il est possible de sanctionner individuellement. On a le régime de preuves avec la vidéosurveillance qui s'est développée dans les stades. On a aussi les stadiers, dont le rôle n'est certes pas judiciaire, mais qui sont des témoins directs des faits. Il peut y avoir des sanctions internes au club, avec le soutien de la Ligue, puis des sanctions judiciaires. Reste à se mettre d'accord.

Des voix commencent à s'élever pour interdire les déplacements des supporters. Pour mettre fin à cette escalade de violences, faut-il revenir sur l'assouplissement décidé en 2019 ? 

Sur cette question des déplacements de supporters, des choses ont été avancées. Il y a de vraies réflexions et expérimentations. Des présidents de clubs s'étaient engagés, par exemple, à créer des systèmes d'accueil de supporters pour justement défaire cette rivalité, pour dégonfler le côté extra-sportif. Qu'il y ait des banderoles dans les tribunes, ce n'est pas le problème. En revanche, il ne faut plus de bagarres en ville, autour ou dans les stades. Ce n'est un sujet pas facile, parce que le problème n'est pas forcément lié à un problème de sécurité pur et dur. Il est lié à des positions d'individus, localement. 

La France a du retard à l'allumage par rapport à nos voisins
Patrick Mignon, sociologue du sport

La France a toutefois du retard à l'allumage par rapport à nos voisins. Si vous prenez le cas de l'Allemagne, sa réflexion commence en 1979, la première fois où il y a une victime d'affrontements entre supporters. La fin des années 70, c'était la grande période des hooligans. On l'a "découvert" à la télévision avec le drame du Heysel (39 morts, 450 blessés en 1985, ndlr). Les Anglais ont agi plus tard, après Hillsborough (97 morts, 766 blessés en 1989, ndlr). Ce n'a pas été le cas en France, on a lancé puis abandonné puis relancé. Il est encore temps de rattraper ce retard, justement dans la lignée de l'Instance nationale du supportérisme qui a permis de mettre autour de la table des acteurs, qui ne discutaient pas ensemble auparavant. 


Propos recueillis par Yohan ROBLIN

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