Maradona et Pelé, pas si amis que ça

Publié le 27 novembre 2020 à 17h55

Source : JT 20h Semaine

RIVALITÉ - À l'annonce du décès de Diego Maradona, victime d'un arrêt cardiaque à l'âge de 60 ans, Pelé a rendu hommage à un "grand ami". Une "amitié" tardive qui n'occulte ni leur inimitié légendaire ni un débat éternel.

Les mots d'un "Roi" à un "Dieu". Mercredi 25 novembre, Diego Maradona a fermé les yeux, emporté après une vie d'excès par une crise cardiaque à l'âge de 60 ans, à son domicile de la banlieue de Buenos Aires. Le Brésilien Pelé, évidemment, a partagé son immense chagrin sur Twitter. "J'ai perdu un grand ami et le monde a perdu une légende", a écrit l'homme aux trois Coupes du monde, orphelin de son plus grand rival. Car, avec "El Pibe de Oro" qui s'en va, c'est un peu du "Rei Pelé" qui disparaît. Eux qui, à défaut de s'être mesurés, ballon au pied, se sont affrontés des décennies durant par déclarations interposées.

Entre Pelé et Maradona, la rivalité a toujours existé, exacerbé par le fait que l'un est Brésilien, que l'autre était Argentin. "Nous sommes amis, nous blaguons tout le temps", désamorçait l'idole de Santos dans un entretien à Goal en 2017. En réalité, si comme deux vieux sages, ils ont fini par enterrer la hache de guerre en 2016, devant les caméras, les deux joueurs se sont détestés publiquement. À l'exception du numéro de maillot, le 10, qu'ils ont contribué à rendre mythique, l'un après l'autre, Pelé achevant sa carrière (1977) à l'aube de celle de Maradona (1976), tout opposait ces deux génies du football.  

"Vous ne pouvez pas comparer Maradona à Pelé"

Dans le jeu d'abord, le "Roi" évoluait plutôt à gauche, dans une position tirant vers le 9 et demi. Sa vitesse, ses dribbles et sa détente l'ont considérablement avantagé à une époque très prolifique en buts, d'où son record de 1281 buts en 1363 matchs, amicaux compris, entre 1956 et 1977. Révélé au moment où Pelé raccrochait les crampons, "D10S" était un vrai numéro 10. Moins buteur que le Brésilien (345 en 692 matchs), Maradona faisait avant tout jouer les autres, libre d'être où il voulait. Cette liberté, associée à un centre de gravité bas (il faisait 1m65), lui a permis de tirer le meilleur de toutes ses qualités : explosivité, équilibre, rapidité. Une palette avec laquelle il a composé son fameux "but du siècle" contre l'Angleterre au Mondial 1986.

Différents, ils l'étaient aussi dans la vie. "Dieu" était rebelle et transgressif, le "Roi" est plus politiquement correct. "Vous ne pouvez pas comparer Maradona à Pelé", résumait à juste titre le Brésilien, plus jeune champion du monde en 1958 à l'âge de 17 ans. Pourtant, depuis plus de 30 ans, ils sont indissociables, comme liés l'un à l'autre, au moment de désigner le "joueur du siècle". Un titre honorifique que les fans des deux camps revendiquent. Un débat, évidemment, impossible à trancher que les deux intéressés ont nourri à longueurs d'interviews, souvent dans la provocation, parfois jusqu'à l'insulte.

Pelé "au musée", Maradona "joueur incomplet"

Dans cette "guerre" des mots, ils ne se sont rien épargnés. À l'image de Diego, toujours prêt à piquer au vif son aîné. "Si je ne m'étais pas drogué, on ne parlerait même pas de Pelé", a ainsi osé "El Diez". Il s'est aussi moqué de son âge, jugeant que la place de son rival était "au musée". "Beethoven ! Jamais, on n'a entendu du Beethoven sur un terrain. La vérité, c'est qu'ils ont changé son flacon (de médicaments)", a-t-il encore lâché après des déclarations du Brésilien se comparant à Beethoven et à Michel-Ange. "Dans ce cas-là, moi je suis Ron Wood, Keith Richards et Bono réunis. Parce que j'incarnais la passion du football".

En face, Pelé n'a pas été en reste. Il a répliqué en mettant en avant son palmarès - trois Coupes du monde contre une pour l'Argentin - ou ses 1281 buts. "Je lui ai toujours dit que tu pourrais concurrencer Pelé quand tu auras marqué plus de 1000 buts", s'est amusé l'ancienne star de Santos. Il l'a même qualifié de "joueur incomplet", "mauvais du pied droit et de la tête".

Et puis, souvent, les attaques se sont faites plus personnelles. L'homme aux trois Coupes du monde n'a pas hésité à mettre les pieds dans le plat pour dénoncer les addictions à l'alcool et à la drogue de Maradona. "Il a été un grand joueur, mais il n'est pas un exemple" pour la jeunesse, a-t-il affirmé, allant jusqu'à suggérer que ses titres lui soient retirés après avoir été convaincu de dopage en 1994. "Pourquoi tant d'athlètes olympiques perdent des médailles qui ont été gagnées grâce au dopage, et pas lui ?" Ce à quoi "El Pibe de Oro" a rétorqué qu'il "devrait d'abord regarder chez lui, parce que dans sa famille il y a aussi des histoires très louches". Une référence à peine voilée au fils de Pelé, envoyé en prison pour avoir participé à un trafic de cocaïne.

Mais la querelle d'égo est parfois allée jusqu'à franchir la ligne rouge. Comme lorsque le génie argentin a dénoncé la soumission de l'icône "auriverde" à la Fifa avec laquelle Maradona a longtemps été en conflit après sa suspension en plein Mondial 1994. "Pelé est un esclave. Il a vendu son cœur à la Fifa. Et quand la Fifa n'a plus eu besoin de lui, il est venu gratter l'amitié des joueurs. Tous les Noirs finissent par déteindre un peu...", affirmait-il dans l'une de ses saillies les moins inspirées.

Réconciliés, vraiment ?

Mais ces prises de bec à répétition n'ont pas fait avancer le débat initial : qui est le meilleur footballeur de tous les temps ? Comme un symbole, les deux hommes se partagent ce titre honorifique depuis 2000 : Pelé l'a reçu de la Fifa, Maradona d'un vote du public. "Pelé était deuxième même au Brésil, où Ayrton Senna a été élu meilleur athlète de tous les temps. Le prix que la Fifa a donné à Pelé ne vaut pas un clou", avait réagi "Dieguito" dans La Gazzetta dello Sport. "Je ne sais pas pourquoi il parle de moi si souvent", s'était étonné quelques années plus tard l'ancien buteur de la Seleção. "Il doit être amoureux de moi"

Quoiqu'il en soit, le temps qui défile a fini doucement par les réconcilier. Apparus complices en juin 2016, à Paris, le bisou volé du "Pibe de Oro" sur le front du "Rei" en 2017 avait témoigné de l'estime qu'ils avaient l'un pour l'autre. L'an passé, pour souhaiter un bon rétablissement au Brésilien, hospitalisé à Paris pour une infection, l'Argentin avait publié sur Instagram un cliché de lui, à 18 ans, au côté de Pelé, alors âgé de 38 ans. "Qu'est-ce que nous étions jeunes...", avait-il commenté. 

Mercredi, la vie a sifflé la fin du match pour Diego Maradona, laissant un "Roi" de 80 ans à la santé fragile sans "Dieu". Réconciliés, leur rivalité, elle, bien qu'apaisée, perdurera. Pelé a déjà donné rendez-vous à son "grand ami" dans l'au-delà. "Un jour, j'espère que nous pourrons jouer au ballon ensemble dans le ciel", a-t-il souhaité. Ensemble oui, mais sûrement l'un contre l'autre. Histoire de savoir, enfin, lequel des deux était le plus fort. Dommage, on ne sera pas là pour voir ça.


Yohan ROBLIN

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