Godard le "mauvais garçon" et Truffaut le "bourgeois" se font encore la guerre dans "Duels"

par Jennifer LESIEUR
Publié le 12 mai 2016 à 11h02

CINE-CLUB– "Truffaut-Godard, scénario d'une rupture", diffusé jeudi 12 mai sur France 5, revient sur les liens houleux qui unissaient deux des plus grands cinéastes francophones du XXe siècle. Alors que le 69e festival de Cannes vient de commencer, ce documentaire issu de la série "Duels" montre que la force de créer passe devant tout le reste.

Au début, ils avaient tout pour se plaire, façon Montaigne et La Boétie, "parce que c'était lui, parce que c'était moi". Jean-Luc Godard et François Truffaut, les fers de lance de la Nouvelle Vague, étaient frères de cinéma : ils se sont rencontrés à une séance, ont signé ensemble des critiques aux Cahiers du Cinéma, ont théorisé, analysé, débattu leurs goûts et détestations. Même le premier film de Godard, A bout de souffle, portait la patte de Truffaut, puisqu'il est crédité auteur du scénario. L'énorme succès du film aurait pu transformer la Nouvelle Vague naissante en raz-de-marée. Elle a viré à la tempête.

Godard le radical reproche à Truffaut d'être commercial

Bosseurs, mégalos, torturés chacun dans leur genre, Godard et Truffaut devaient bien finir par se déchirer pour s'affirmer. La rupture arrive en 1974, avec La Nuit américaine de Truffaut, qui remporte l'Oscar du meilleur film étranger. Godard déteste : il le lui fait savoir dans une lettre restée célèbre où il le traite de "menteur". Le Franco-suisse à la voix chevrotante s'engage dans des films radicaux, élitistes, tandis que l'élégant Truffaut poursuit sa veine romanesque - "bourgeoise", lui lance-t-on comme une insulte. Un comble lorsque l'on sait que c'est Godard qui a grandi dans un environnement aisé, et que c'est le jeune Truffaut qui a fait les 400 coups avant d'en tirer un film…

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Depuis, Godard et Truffaut n'ont cessé de s'attaquer par écrits interposés. Dans le public, on demande : êtes-vous plutôt gordardien ou truffaldien ? Mathieu Amalric explique que c'est aussi absurde que choisir entre les Beatles ou les Rolling Stones. Et d'ajouter avec justesse qu'on peut voir leurs films à différents âges de la vie, ils résonneront toujours différemment. Les interventions d'Amalric sont aussi sensibles que celles de Claire Denis et Olivier Assayas, autres réalisateurs qui savent ce qu'ils doivent à ces deux créateurs jamais réconciliés. La mort prématurée de Truffaut, d'une tumeur au cerveau à l'âge de 52 ans, a tout juste adouci la rancœur de Godard qui dit à Thierry Ardisson : "je dirais qu'il me protège toujours, à sa manière". Lui seul peut dire si c'était du cinéma.


Jennifer LESIEUR

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