Lucienne Moreau, mamie fait de la résistance

par Pierre BOHM
Publié le 13 juin 2013 à 16h30
Lucienne Moreau, mamie fait de la résistance

PORTRAIT - Popularisée par le Petit Journal, Lucienne Moreau est devenue star à plus de 70 ans. Une deuxième vie pailletée qui nous a donné envie d’en savoir plus sur la première. Bien droite sur sa chaise, les mains souvent jointes sur ses genoux, l’octogénaire se raconte. Entre deux éclats de rire.

Quand on la retrouve dans les bureaux parisiens de son agent, Lucienne Moreau vient d'enregistrer ses vœux de bonheur à de jeunes mariés. Elle ne les connaît pas mais elle est comme ça Lucienne, elle aime bien faire plaisir. Comme ça "ne la gêne pas de parler de son âge", on se permet de vous le dire d'entrée : Lucienne a 80 ans dont 13 passés devant la caméra.

Ce métier d'actrice ce n'est pas son premier. Il est lui tombé dessus après, entre autres, celui de fermière, de tenancière de bar, de femme de ménage. Lucienne a eu plusieurs vies professionnelles et pour elle, la retraite n’est même pas un projet. Pourtant, elle a commencé à travailler à 14 ans. Quand certains font de la télé en espérant être repéré pour un rôle au cinéma, Lucienne a fait le chemin inverse. Un jour, elle répond à une petite annonce dans un journal gratuit de sa ville, Argenteuil et devient figurante "sans faire la différence entre un réalisateur et un producteur".

"Nos retraites à nous sont toutes petites"

La figurante se mue en actrice quand elle joue de petits rôles dans des longs-métrages, comme par exemple Qui a tué Bambi. Puis, elle met le pied dans la porte à Canal + en jouant dans plusieurs sketchs de l'émission déjantée, Groland. Avec une limite indépassable, "pas de nu". Quand on regarde cette mamie (15 petits enfants, 4 arrières) et ses cheveux blancs épais comme des fils de laine, on a du mal à l'imaginer au milieu de la bande à Moustic.

Actrice, Lucienne l'a fait pour l'argent mais "pas pour être riche". D’une pudeur non-feinte, Lucienne ne prononce pas le mot argent. Elle dit "supplément", ou "petit supplément". Une rallonge aux heures de ménage et à une maigre pension. "Nos retraites à nous sont toutes petites" souffle-t-elle, d'un air entendu, à la première personne du pluriel faisant affleurer sa conscience de classe. Des origines qui ne l'ont pas empêchée de fréquenter les soirées les plus branchées de Paris et de Cannes pour le Petit Journal.

"Comment qui s’appelle l’autre là, qu’on a tant entendu gueuler pendant la dégustation de vin ?"

"Pendant le Festival, je n'en croyais pas mes yeux". Lucienne raconte avoir rencontré des acteurs "haut placés" mais peine un peu à se souvenir des noms. "Comment qui s'appelle l'autre qu'on a tant entendu gueuler là, à la dégustation du vin ?" s'interroge-t-elle à voix basse. "Garcia…José Garcia". Elle cite aussi Kad Merad. Est-ce la fréquentation de José Garcia lors d'une dégustation ou l'expérience ? Une chose est sûre, Lucienne s'est "enhardie". Au point de prendre dans ses bras, lors d’une soirée parisienne, un Jean-Paul Gaultier hilare. "Cela me vient comme ça, tout seul, comme un éclair". Le couturier lui a proposé de la faire défiler mais elle est sans nouvelles depuis. "J'attends, on ne sait jamais. Peut-être cette année" fait-elle mine de s'interroger en riant.

Enfant de la guerre mondiale

Malgré ce show-business fréquenté avec plaisir sur le tard, Lucienne l'affirme sans fard : actrice, cela ne l'a "jamais fait rêver". Et quand elle raconte sa vie d'avant, on se dit qu'elle n'a pas dû avoir beaucoup le loisir de se faire des plans sur la comète. D’abord, parce que Lucienne fait partie d'une génération qui a passé son enfance au milieu des pages les plus dures de l'Histoire européenne, six des douze premières années de sa vie au beau milieu d'une guerre mondiale dont le fracas résonne alors jusqu'au milieu des champs de sa Mayenne natale. Mais cette guerre, Lucienne ne s'en plaint pas. Pas son genre de toute façon.

"On a manqué de rien", grâce à une petite exploitation agricole qui permet de la nourrir, elle et ses neuf frères et sœurs. Et de donner un poulet par ci, un peu de pain par là à des familles de la ville voisine, Laval. "Mais on a jamais fait de marché noir", s’empresse-t-elle de préciser. Quand on lui demande de se rappeler de son plus ancien souvenir, elle parle des fêtes de Noël quand elle avait 4 ou 5 ans. "C’était très simple mais on était très réjoui. Les ainés préparaient tout ça. On trouvait ça merveilleux". Elle dit "mer-vei-lleux" comme pour se délecter de chaque syllabe.

"Pour mettre un poivrot dehors..."

Après la guerre, vient le travail aux champs. Mais quand on lui en parle, Lucienne préfère insister sur les "fêtes populaires" où elle sort, "toujours accompagnée d’un frère ainé". C’est sûrement dans une de ces fêtes, où l’accordéon fait chanter l’après-guerre que Lucienne rencontre son premier mari, un fils d’exploitant agricole de la région. Le mariage est célébré alors qu’elle a 19 ans, son premier enfant vient un an plus tard.

Les deux familles s’entraident dans leurs exploitations agricoles respectives. Puis, c’est le déménagement, dans une petite ville à côté de son village, Renazé. Nous sommes dans les années soixante et Lucienne ouvre un petit commerce d’alimentation générale qui fait aussi débit de boisson. "J’ai vu pas mal d’hommes un peu saouls", euphémise-t-elle. "Pour mettre un poivrot dehors; il faut du caractère". Et Lucienne n’en manque pas.

"J'ai pas tiré le bon numéro"

De Renazé, elle déménage dans les années soixante-dix à Laval pour y tenir un bar. Mais "on a plein de problèmes familiaux", des problèmes qui mènent à un divorce en 1974 ; une période "très difficile". Puis c’est la rencontre avec son deuxième mari. L’occasion d’être enfin heureuse en ménage ? "J’ai pas tiré le bon numéro", rit un peu jaune l’octogénaire. Car derrière ses yeux rieurs, en regardant attentivement, on peut distinguer une pointe de mélancolie. "C'est comme ça", dit-elle souvent quand, dans son histoire, effleurent les écorchures de la vie. Elle aura deux autres enfants avec ce deuxième mari dont elle parle ainsi : "Il avait des gentillesses mais il avait des trucs… Bon… Hein…", coupe-t-elle sans qu’on ose lui demander d’entrer dans les détails.

Et l’avenir dans tout ça ? Lucienne voudrait partir en croisière, "loin". Et puis apprendre l’accordéon et visiter l’Arc de Triomphe. Et continuer de se faire prendre en photo avec des fans qui pourraient être ses petits-enfants. Car elle est comme ça Lucienne, elle aime bien, aussi, se faire plaisir.  


Pierre BOHM

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