Attaque de Strasbourg : comment se mène une chasse à l’homme ? Un ancien grand flic raconte

Recueilli par A. LE GUELLEC
Publié le 13 décembre 2018 à 19h08, mis à jour le 13 décembre 2018 à 19h58

Source : JT 13h Semaine

ECLAIRAGE – La traque se poursuit ce jeudi pour arrêter Cherif Chekatt, le suspect numéro 1 de l'attentat de Strasbourg. Si la police nationale a lancé un appel à témoins pour le retrouver, comment s’organisent concrètement les recherches sur le terrain, et dans les bureaux, dans ce genre d’affaires ? LCI a posé la question à ancien commissaire de police.

Toute personne en possession "d'informations permettant de le localiser" est appelée à composer le 197. Deux jours après l’attaque qui a fait trois morts et treize blessés, la chasse à l’homme se poursuit pour arrêter Cherif Chekatt, le suspect numéro 1. "Attention, individu dangereux, surtout n'intervenez pas vous-même", a mis en garde la police nationale qui a lancé un appel à témoins mercredi soir, décrivant un individu de 1,80 m, "peau mate", "corpulence normale" et "marque sur le front". 

Mais concrètement comment est menée la traque d’un homme, qui se trouve être à un moment précis le plus recherché de France ? LCI a posé la question à René-Georges Querry, surnommé "Jo" Querry, qui est bien placé pour en parler. Figure de la Brigade antigang et ancien patron de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat), c’est lui qui, le 2 novembre 1979, conduisait la voiture qui bloquait celle de Jacques Mesrine, porte de Clignancourt, à Paris. L’épilogue de près de deux ans de traque sur lequel l’ancien commissaire à la Brigade de répression du banditisme revient dans "De Mesrine à DSK : les vérités d'un grand flic".

La rédaction de LCI : Comment s’organise de manière très concrète une chasse à l’homme ?

Jo Querry, ancien patron de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat) : Il n’y a rien de secret dans la méthode, ce qu’il y a de secret, ce sont les gens qui sont surveillés. La première règle c’est de sortir le dossier du fugitif et de faire ce que l’on appelle son environnement : famille, amis, complices…  Les agents chargés de l’analyse des renseignements ressortent alors toutes les identités de toutes les personnes avec qui le type a été en contact. On remonte très loin dans les archives, parfois sur plus d’une décennie, on s’assure que les adresses dans les dossiers sont toujours à jour, on cherche à savoir où se trouvent physiquement ces personnes, et puis on procède à une première surveillance technique, ce qui dans les faits consiste principalement à mettre sur écoute téléphonique. Aujourd’hui, la technologie aide beaucoup les policiers : en permettant d’une part d’écouter les personnes avec qui l’individu recherché est en contact et deuxièmement en localisant géographiquement grâce aux bornes. C’est à dire qu’avec un téléphone portable, on arrive à suivre très précisément un individu.

La surveillance physique, qui consiste à mettre des agents en planque, dépend quant à elle de plusieurs paramètres, à commencer par l’endroit où la personne est localisée. Il s’agit de savoir s’il est possible de planquer ou pas (si vous allez dans une cité et que vous êtes repéré au bout d’une demi-heure, ce n’est pas la peine). Concrètement, sur le terrain, les agents vont planquer, prendre en filature des personnes dont on peut penser qu’ils sont en contact avec celui qui est recherché.

"Un téléphone portable peut valoir des semaines de filature et de surveillance"

La rédaction de LCI : Qu’est-ce qui peut faire basculer une traque ? 

Jo Querry : La mobilisation générale. Dans le cas de la fusillade de Strasbourg qui nous intéresse, soit le suspect a réussi à passer la frontière franco-allemande, et donc il est déjà loin, soit il est dans Strasbourg et son environnement immédiat planqué dans un coin. Sauf qu’on ne peut tenir indéfiniment comme ça. Le principe de départ, c’est que personne ne peut rester en cavale pendant des jours ou des semaines naturellement. Ça veut dire qu’il lui faut un endroit où dormir, où manger, et inévitablement il y a toujours au moins un ou deux contacts, à savoir des gens qui vont l’aider, lui apporter à manger, le soigner. Et bien souvent, ce sont ces gens-là qui vont commettre une erreur à un moment donné. Et il ne faut pas oublier que la cavale est quelque chose de terrible pour les fugitifs, parce qu’on est en permanence sous tension et dans la nuit, matin, midi et soir. Un voyou m’a dit un jour que c’était une forme de prison au grand jour. D’autres m’ont même dit au moment de leur interpellation que c’était une forme de soulagement.

Ce qui peut se passer à un certain moment, quand les recherches n'avancent pas au bout de huit ou dix jours, c’est de relancer des perquisitions et des interpellations dans l’environnement immédiat du fugitif. Là encore, il arrive que ça les pousse à commettre une faute lorsqu’on les remet en liberté, et que ça fasse bouger les choses. Mais tout cela relève beaucoup de l’instinct. Enfin, assez paradoxalement, tout ce qui concerne les communications se révèle assez dangereux pour les fugitifs car ça facilite beaucoup de nos jours le boulot des flics. Un téléphone portable peut valoir des semaines de filature et de surveillance. Napoléon avait coutume de dire quand on lui présentait des généraux "a-t-il de la chance ?" Mais en fait, la chance il faut la bousculer, la réussite d’une traque repose sur un travail d’obstination.

"Je ne pense pas qu’aujourd’hui on puisse encore se planquer un an ou deux."

La rédaction de LCI : Néanmoins, certaines traques peuvent s’inscrire dans la durée…

Jo Querry : En effet. On a notamment mis un an et demi à mettre la main sur Mesrine qui était l’individu le plus recherché de France à l'époque et son visage était pourtant connu tous azimuts. Et là, on avait à faire à des professionnels de la clandestinité qui en plus continuaient de faire des coups en cavale. Non seulement ils étaient planqués, mais ils arrivaient à assassiner des gens et à faire des braquages.

Mais je ne pense pas qu’aujourd’hui on puisse encore se planquer un an ou deux. C’est extrêmement difficile sauf si le type accepte de vivre comme une espèce d’ermite dans un appartement sans contact avec personne. Selon moi, on se trouve plus ou moins dans le même cas de figure que Redoine Faïd , sauf que dans un cas il s’agit de droit commun dans l’autre de terrorisme. 

La rédaction de LCI : Justement, la manière de traquer un terroriste et un fugitif de droit commun diffère-t-elle ?

Jo Querry : Non, concrètement la manière de procéder reste la même. La seule différence, c’est la mobilisation générale. Lorsqu’on a affaire à un petit braqueur qui ne présente pas une dangerosité exceptionnelle, on a tendance à s’installer dans un rythme plus lent, et on mobilise moins de monde sur le terrain, car on sait qu’un jour ou l’autre on arrivera à le repérer. Mais quand on a affaire à un individu aussi dangereux que le suspect de la fusillade de Strasbourg, on ne laisse rien au hasard. 

Dans un cas pareil, un état-major est généralement constitué, la police judiciaire est renforcée par la police urbaine voire des personnels de Paris. Et cela peut continuer le temps nécessaire, des semaines ou des mois. En l’occurrence, des policiers ont dû abandonner des dossiers en cours en matière de drogue ou sur des affaires financières ou de cambriolage pour se mobiliser complètement sur la recherche de cet individu. Ce qui est intéressant, c’est qu’un appel à témoin et sa photo ont été diffusés, ce qui n’est pas toujours le cas, qui plus est en matière de droit commun. 

"Il suffit d’un coup de téléphone pour tout faire basculer. "

La rédaction de LCI : Tous les témoignages ont donc leur importance ?

Jo Querry : Les témoignages sont indispensables et sont tous vérifiés. Il suffit d’un coup de téléphone pour tout faire basculer. Je prends souvent l’exemple d’une affaire que j’ai démarré au début des années 80, celle de l’étudiant japonais qui avait tué une Hollandaise avant de découper son corps en morceaux et de l’expédier au Bois-de-Boulogne. Un jour, un coup de téléphone était arrivé à la brigade criminelle, il s’agissait d’une dame qui nous a dit : "écoutez je vous le dis, à tout hasard j’ai vu mon voisin partir avec deux valises qui me paraissaient lourdes hier". Quand la brigade s’est rendue au domicile qu’elle a perquisitionné, elle a effectivement trouvé ce qu’il restait de la fille et ce voisin était bien l’assassin. 

Mais il est vrai que dans ce genre d’affaires, y compris en matière de terrorisme, il y a aussi des gens qui utilisent l’émotion du moment pour régler des comptes avec leur voisinage notamment : l’exemple typique, c’est le voisin du deuxième qui balance celui du cinquième. Bien souvent, on pressent le règlement de compte personnel, mais je le répète on ne peut rien laisser au hasard dans ce genre d’affaire et par acquis de conscience, on y va quand même. Heureusement, il y a aussi et surtout des gens qui appellent de bonne foi. 


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