TERRORISME - Depuis l'identification du tueur présumé de l'attentat de Strasbourg, le débat sur les "fichés S" est à nouveau sur la table. À l'instar de Christian Estrosi, plusieurs élus locaux demandent l'accès à cette liste, en réclamant l'application de la circulaire du 13 novembre 2018, qui vise à "mieux informer les maires sur les cas de radicalisation".
La France est une nouvelle fois endeuillée par un épisode terroriste. Mardi 11 décembre, une fusillade sur le marché de Noël de Strasbourg a fait au moins trois morts et plusieurs blessés, dont certains grièvement. Le principal suspect, Cherif Chekatt, était "fiché S"” (pour "sûreté de l’Etat"). L’occasion pour certaines personnalités politiques de relancer le débat sur l’usage de cette liste de personnes surveillées.
Christian Estrosi, maire de Nice, a ainsi déclaré dès le lendemain de l’attaque : "Je vais demander clairement au préfet des Alpes-Maritimes de bien vouloir me donner la liste des fichés S qui résident sur le territoire de la commune."
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Des propos qui rappellent ceux des maires d’Evreux, Guy Lefranc, ou d’Aulnay, Bruno Beschizza, qui avaient fait la même demande à la suite des attentats de 2016. Impossible à l'époque. Comme nous l'expliquions alors dans cet article : être "fiché S" ne suffisant pas à prouver une quelconque culpabilité, l’Etat refusait jusqu’alors de diffuser ces identités. Objectif : éviter toute discrimination.
Vieux débat, nouveaux arguments
Mais les récents événements ont changé la donne. Et Christian Estrosi compte bien s’appuyer sur un nouvel élément : la circulaire du 13 novembre 2018. Un texte visant "à mieux informer les maires des menaces de radicalisation pesant sur leur commune". Signée par le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, trois ans après les attentats de Paris, ce texte promet des "échanges d’informations" entre préfets et maires à propos des personnes connues comme radicalisées et identifiées comme les plus à risque. Cette "transparence totale" sur la menace terroriste était à l'origine une promesse faite aux élus locaux par Emmanuel Macron en mai dernier.
"Il y a une circulaire qui dit aux préfets de bien vouloir informer les maires", ajoutait Christian Estrosi, maire de Nice, lors de sa déclaration le mercredi 12 décembre. "Pour l'instant, je n'ai pas réussi à l'obtenir [la liste des fichés S], mais vu les circonstances, et vu le CV du monsieur, du barbare qui a frappé une fois de plus, vous comprendrez que je souhaite que la circulaire du 13 novembre soit appliquée."
Un accès direct à la liste des "fichés S" ?
Contrairement à ce qu'il sous entend, même si la circulaire du 13 novembre est appliquée, il y est indiqué que "le maire ne peut avoir un accès direct aux informations" contenues dans les fichiers S et FSPRT (Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste).
Selon le texte, "une diffusion large de ces informations serait susceptible de compromettre les investigations et de nuire à l'exhaustivité des informations contenues dans ces fichiers". Le partage de ses informations sera donc régit par des conditions très précises, et soumis à la signature d'une charte de confidentialité.
Dans la réalité, j'ai peur que ce soit difficile
Pascal Touhari, Directeur juridique de Villeurbanne
Contacté par LCI, Pascal Touhari, directeur des affaires juridiques de Villeurbanne apporte quelques précisions : "Si un maire n'ayant signé aucune charte de confidentialité demande la communication d'informations confidentielles, sa demande sera rejetée. A l'inverse, si un maire ayant préalablement signé la charte formule une demande, celle-ci sera étudiée. En aucun cas, il n'y aura d'automaticité de la réponse dans la mesure où le Préfet ne peut communiquer que sous réserve du double accord du chef de la police (ou gendarmerie ou renseignements) et du Procureur de la République."
Il faudra donc que le maire soit en capacité sérieuse d'argumenter sa demande à propos d'une personne pour que le Préfet, avec le double accord préalable évoqué, puisse lui répondre favorablement. "Dans la réalité, j'ai peur que ce soit difficile et que peu nombreux soient les maires à avoir communication d'informations confidentielles." ajoute Monsieur Touhari.
Des situations qui nécessitent "d'appeler l'attention du maire"
S'il est trop tôt pour estimer avec quelle régularité ce type d'information sera donné aux maires, la circulaire détaille néanmoins les différents cas pratiques où cela s'avérerait utile. Notamment, pour garantir aux élus locaux un suivi sur les signalements qu’ils effectuent, ou pour permettre la prise en charge sociale des personnes en voie de radicalisation. Selon le communiqué du gouvernement, cela permettra également aux mairies d’avoir "une meilleure vision des risques encourus lors d’événements".
Au vu du texte, cela pourrait interférer dans le recrutement et la gestion des agents publics, mais aussi dans le choix des subventionnements d'associations, ou la mise à disposition de locaux par la collectivité. Si toutefois ces personnes, associations et commerces présentent des risques. Il est difficile d'appréhender les conséquences concrètes de cette circulaire sur la vie communale et sur la lutte contre le terrorisme.
La seule information certaine est que la transmission d'informations sur les personnes fichées S, si elle a lieu, ne pourra se faire qu'à l'initiative du préfet. Selon Pascal Touhari, "cela se justifie par la nécessité d'éviter toutes discriminations des personnes éventuellement fichées S et pour empêcher toute possible, et sans doute involontaire, entrave à une enquête en cours."