Ludovic Florin, mécanicien AG2R sur le Tour de France : "On a la main en permanence sur la poignée, prêt à bondir"

Propos recueillis par Yohan ROBLIN, à l'Alpe d'Huez
Publié le 23 juillet 2018 à 17h19, mis à jour le 24 juillet 2018 à 9h19
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Source : Sujet JT LCI

VIS MA VIE - Ils arpentent les routes du Tour de France au contact des coureurs. Pour les mécaniciens, dont le rôle est primordial bien que méconnu, la Grande Boucle est une course à part. Rencontre avec l'un d'eux, Ludovic Florin, "mécano" au sein de l'équipe AG2R La Mondiale.

Ils sont les petites mains du Tour. Assistants, soigneurs, médecins et mécaniciens œuvrent dans l'ombre pour que les coureurs puissent s'épanouir devant le public et les caméras. Pendant les trois semaines que durent la course, les "mécanos" bichonnent les vélos, prolongements naturels des corps des athlètes. Sous-estimé, leur travail est pourtant primordial. 

Originaire du Nord, à dix kilomètres des premiers secteurs pavés de Roubaix, Ludovic Florin a travaillé pendant vingt-six ans dans le transport. C'est une rencontre avec Vincent Lavenu, le directeur de l'équipe AG2R La Mondiale, qui a permis à ce passionné de mettre un pied dans le métier. Pendant deux ans, il a fait la vacation entre AG2R et Cofidis avant d'être embauché.

Interrogé par LCI à l'arrivée de la 12e étape entre Bourg-Saint-Maurice et l'Alpe d'Huez, le mécanicien explique les rouages de son métier et la manière dont il s'organise sur les routes du Tour de France. Car, contrairement à une idée reçue, il ne passe pas ses journées avec des outils en main à réparer ou à préparer les vélos. Cela n'est, en fait, qu'une partie de son travail. 

On ne met pas les vélos n'importe comment sur les galeries
Ludovic FLORIN, mécanicien AG2R La Mondiale

LCI : Vous êtes mécanicien pour AG2R. Comment travaillez-vous au quotidien ?

Ludovic FLORIN : Les coureurs nous parlent tous les soirs sur notre groupe WhatsApp (un système de messagerie, ndlr). Ils nous font leurs recommandations. Après avoir lavé et séché les vélos, on fait la configuration pour le lendemain, en vérifiant si on a monté le bon cadre, les bonnes roues... On doit regarder s'il n'y a rien de spécial. Si ça va bien et qu'on n'a pas de casse à réparer, le soir, ça va assez vite. En revanche, quand il y a des grosses chutes et que le cadre est cassé, on peut travailler au camion jusqu'à 23h-23h30. Ce qui nous prend du temps aussi, ce sont les transferts. Des fois, il faut faire 200 bornes après l'étape. Sur le Tour, c'est plutôt rare, mais sur un Giro ou une Vuelta, c'est souvent le cas. Vous pouvez commencer à travailler sur les vélos à 21h et là, ça peut durer. Enfin, il faut savoir que nous n'avons pas seulement les vélos à préparer, on doit aussi s'occuper du camion et des voitures. On doit tout laver, tout aspirer et vérifier s'il n'y a pas de problème pour ne pas tomber en panne.

LCI : Combien de vélos emportez-vous lors d'une étape du Tour de France ? 

Ludovic FLORIN : Sur la course, on ne peut pas avoir plus de trois vélos. Romain Bardet en avait quatre pour l'étape de Roubaix : comme on a perdu des coureurs, on avait pu en prendre plus. Sur un grand Tour, Romain a six vélos en tout. Ça fait beaucoup de matériel. On prépare tout le soir pour le lendemain. Le lendemain, on les prend, on les met sur le véhicule et on n'y touche plus. Le matin de la course, il ne nous reste plus qu'à faire les galeries. Il faut savoir qu'on ne les met pas n'importe comment sur les voitures. Il y a un ordre à respecter par rapport à l'accessibilité. Le vélo de rechange de Romain est toujours le premier le plus proche du mécano. Il y a deux mécanos sur la course et deux à l'hôtel. On fait une tournante.

On peut tuer un coureur accidentellement si on ne fait pas attention
Ludovic FLORIN, mécanicien AG2R La Mondiale

LCI : Sur le terrain, quels sont les moments les plus compliqués à gérer ?

Ludovic FLORIN : Ce sont les dépannages en course. Lorsque vous préparez le matériel, vous savez ce que vous faites. Il faut être concentré, parce qu'on peut tuer un coureur accidentellement si on ne fait pas attention. Il suffit d'un mauvais serrage de frein, d'un boulon mal vissé ou d'une autre bêtise pour mettre un coureur par terre. Je ne veux pas dire que tout dépend de nous, mais ça peut être dangereux. Mais, dans mon cas, les dépannages sont les moments les plus stressants à gérer. Il faut rester concentré. Il y a beaucoup de facteurs quand on est en course. On a la main en permanence sur la poignée de porte, prêt à bondir et la roue dans l'autre main. Ça marche à la seconde. Ça apporte de l'adrénaline, mais c'est stressant.

Le problème mécanique peut arriver à tout moment. Il faut vraiment faire les bonnes choses au bon moment. Les secondes sont comptées. Sur un grand Tour, le classement général nous mange beaucoup de stress. On a peur de perdre du temps en dépannant. Quand la caméra de France Télévisions s'arrête à côté de vous et vous fixe, ça vous met un coup de pression. Tout le monde vous regarde. Si vous merdez, quand vous rentrez chez vous, on se fout de vous. On peut perdre du temps à changer une roue. L'année dernière, un vélo est tombé sur les Champs-Élysées pendant un dépannage, et mon collègue en a entendu parler pendant un moment. Des fois, ça peut coincer. On reste humains, nous ne sommes pas des machines. 

LCI : Au détour d'une discussion, un mécanicien de l'équipe Groupama-FDJ nous confiait récemment qu'il fallait être passionné pour faire ce métier. Partagez-vous cette analyse ?

Ludovic FLORIN : C'est le départ de tout. Moi, je suis là pour travailler bien sûr, mais aussi pour la compétition. J'adore être en voiture, je vis à fond le truc. On regarde les temps, on regarde qui est derrière. Vivre ça de l'intérieur, ça apporte énormément. Sans pression, je ne serais pas là. Un gars qui n'en a rien à foutre du vélo n'a pas sa place ici. Quand on a la chance de travailler dans le milieu du sport, au très haut niveau, il faut être à fond dans ce qu'on fait. C'est mon avis.

On vit, on mange et on dort ensemble
Ludovic FLORIN, mécanicien AG2R La Mondiale

LCI : Vous êtes souvent en itinérance. N'est-ce pas trop impactant sur votre vie privée ? 

Ludovic FLORIN : Chez AG2R La Mondiale, on travaille 180 jours maximum. On a un planning au mois de décembre pour l'année d'après et on s'organise autour de ça pour faire notre vie. À côté des émotions qu'on peut vivre en course et de la joie de travailler dans ce monde-là, c'est vrai qu'il y a quelques contraintes. Partir de chez soi, ce n'est jamais facile. Quitter la famille pendant un mois quand on fait un grand Tour, c'est quelque chose de spécial. Tous les week-ends entre avril et août, c'est compliqué. On loupe beaucoup d'anniversaires, les repas de famille et tout le reste. On va dire que c'est un peu le revers de la médaille. Le reste, c'est que de la passion et du plaisir. Quand on est dans l'ambiance de la course, on oublie ces choses-là. C'est comme ça, c'est tout. On le savait en choisissant ce métier, on fait avec et la famille s'adapte aussi. 

LCI : Vos collègues sont en quelque sorte votre deuxième famille...

Ludovic FLORIN : (Il coupe) On est 180 jours ensemble. On vit, on mange et on dort ensemble. On est toujours en double. Il y a des affinités qui se créent entre certains. En général, ça se passe bien. Quand on se revoit, on se fait la bise, on est content de passer du temps ensemble. Ça ne remplace pas la famille. Ça reste professionnel, mais il y a de l'amitié qui naît.

LCI : Qu'en est-il des relations entre les mécanos et les coureurs ?

Ludovic FLORIN : Ça reste professionnel et surtout matériel. Après, à l'instar de ce qui existe avec les membres du staff, on a des affinités avec certains coureurs. J'en reviens au planning dont je vous parlais tout à l'heure. On passe plus de temps avec certains et moins avec d'autres. Moi, par exemple, je fais toutes les classiques belges et le Paris-Roubaix. Ces gars-là, ce sont toujours les mêmes. Jusqu'au mois de juin, on passe quasiment tout notre temps ensemble. Il y a des affinités qui se créent. J'ai l'habitude de dire qu'on entretien des relations professionnelles, tout en étant amicales. C'est une formule qui convient plutôt bien.

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Propos recueillis par Yohan ROBLIN, à l'Alpe d'Huez

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