"La première chose qu'on touche à son réveil, c'est lui" : comment le smartphone met le couple en péril

Publié le 17 octobre 2018 à 16h28
"La première chose qu'on touche à son réveil, c'est lui" : comment le smartphone met le couple en péril

ADDICTS - Textos, réseaux sociaux, applications, mails... Le smartphone pompe tellement d’énergie que les amoureux en oublieraient presque leur conjoint.e. D'où notre question brûlante : le couple est-il fatalement condamné par le virtuel ou pouvons-nous, encore, sauver l’amour ?

Dans le film Le jeu, en salles ce mercredi 17 octobre, des couples d’amis acceptent un deal : chacun pose son téléphone portable au milieu de la table et chaque SMS, appel téléphonique, mail, message Facebook, etc. reçu au cours du dîner doit être partagé avec les autres. Evidemment, le jeu se transforme en cauchemar tant le smartphone apporte un éclairage de l'autre nouveau au conjoint présent. En filigrane, la question que pose cette comédie française est de savoir si, au fond, on ne consacre pas plus de temps à son smartphone qu'à son/sa conjoint.e, et ce au détriment du couple. 

À y regarder de plus près, les études sur le sujet sont accablantes : l'une d'elles, britannique et datant de 2013, nous mettait en garde contre la sur-connexion, révélant que plus de 50% des gens passent 90 minutes devant un écran avant de se coucher et que, du coup, le nombre de rapports sexuels moyen serait passé d’un peu plus de six par mois à cinq. Un couple sur deux y avouait sa vie sexuelle perturbée par les nouvelles technologies (12% répondent au téléphone pendant les ébats, 10% lisent les sms et 5% consultent leur page Facebook). Un constat déprimant que partage la psychothérapeute Esther Perel, qui relève que "chez beaucoup de gens, la première chose que l'on touche à son réveil, c'est son smartphone et plus son/sa conjoint.e". De la même manière, souligne-t-elle auprès de LCI, beaucoup de personnes se plaignent que la dernière chose que leur conjoint fasse le soir, c'est d'aller sur Instagram ou Twitter. Et finalement, ils ont l'impression de ne pas vraiment avoir quelqu'un à côté d'eux. L'autre est là physiquement, mais pas psychologiquement. C'est une nouvelle solitude à l'intérieur du couple." 

Chute des performances

Léa, 26 ans, l'avoue sur un forum de discussion : "C'est l'enfer; mon mec n'arrête pas de râler et de me reprocher de faire plus attention à ce qui se passe sur mes réseaux qu'à lui, mais je n'y peux rien, c'est plus fort que moi." Vu les réponses que son témoignage suscite, Léa n'est pas un cas isolé. Mais pourquoi sommes-nous à ce point scotchés à nos smartphones ? Selon Samuel Dock, psychologue clinicien et co-auteur du "Nouveau malaise dans la civilisation" (Plon, 2015), le smartphone constitue une "prothèse narcissique". Il offre un autre espace d’existence excluant le ou la partenaire, et son abus provoque des conséquences délétères : "On accorde au smartphone une partie de notre énergie psychique, ce qui diminue notre performance cognitive. Il devient plus difficile de lire, de se concentrer, d’être attentif à l'autre, d’élaborer des idées."

Si l'utilisation du smartphone s'exprime au détriment du couple, il est nécessaire d’interroger l’autre, de lui demander pourquoi il a besoin de cet autre espace
Samuel Dock, psychologue

Et il arrive que cette manie se mue en pathologie au sein du couple, au risque de l'engloutir définitivement. "Cela devient un handicap lorsque l'on n’arrive plus à entrer en lien avec l’autre, quand on n’arrive plus à détacher le regard du smartphone, qu’on n’arrive plus 'à aimer à travailler', pour reprendre l’expression de Freud, poursuit Samuel Dock. Un manque d’investissement de soi-même qui peut résulter d’un surinvestissement du smartphone, que l'autre peut vivre comme une atteinte narcissique." 

Qu'est-ce qui pourrait sauver l'amour ?

La vraie question reste de savoir si nous sommes tous condamnés. Est-ce que cette propension à consulter le smartphone de façon intempestive va s’accentuer dans les années à venir ? Le virtuel va-t-il devenir une nouvelle drogue, au détriment du physique, et donc du toucher ? "Aujourd’hui, il n’est plus possible de faire marche arrière, affirme le psychologue. Il y a bel et bien des avancées technologiques qui nous isolent, mais il faut réussir à en prendre la dimension positive et se dire que, non, nous ne sommes pas passifs. Nous ne sommes pas des victimes face à cette société de l’hyperconsommation. Il est possible de réagir, de se réapproprier l’espace technologique." 

Un précepte miracle ? "Il faut faire preuve d’introspection en s’interrogeant sur l'usage que nous faisons de ces technologies et donc du smartphone. Quand on voit son conjoint abuser du smartphone, il faut en parler, lui demander de restreindre si possible sa consommation." Finalement, Samuel Dock assimile le smartphone à une bibliothèque : "Il s’agit de prendre les livres dont nous avons besoin à un instant où nous avons besoin. Mais il importe de ne pas être dans ce flux constant. Pour cela, il faut être extrêmement vigilant sur le temps que nous y accordons et sur la qualité que nous y prêtons. Quand nous ne savons plus pourquoi nous sommes sur Facebook ou à la recherche de sites Internet, là, c'est peut-être le moment de dire "stop", de se dire que c’est le moment de ralentir et de faire une activité extérieure au smartphone, extérieure à la technologie, extérieure à l’objet."


Romain LE VERN

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