"Vous en connaissez, vous, des 'Raymond couche-toi-là' ?" : ce livre dénonce le machisme dans notre vocabulaire

Publié le 14 mars 2019 à 12h17, mis à jour le 14 mars 2019 à 15h59

Source : JT 20h Semaine

PAMPHLET - "Grognasse", "godiche", "entraîneuse"... Dans le livre #Balancetonmot, publié ce jeudi 14 mars, Jean-Loup Chifflet et la lexicographe Marie Deveaux dissèquent la misogynie et le machisme de notre vocabulaire. Leur constat est affligeant...

C'est un combat mené depuis longtemps par certaines militantes féministes, qui ont été revigorées après l'affaire Weinstein : "Dénoncer le sexisme de notre langue" et "la masculinisation de notre grammaire". Avec en ligne de mire la fameuse écriture inclusive qui, à elle seule, pourrait, selon elles, tout éradiquer. Un choix qui ne satisfait pas l'auteur Jean-Loup Chifflet, persuadé que "ce n'est pas comme ça qu'on va défendre la cause des femmes". "D'autant que l'écriture inclusive ne fonctionne qu'à l'écrit", insiste-t-il. 

Lui a beaucoup mieux comme arme de persuasion massive : s'attaquer à notre vocabulaire, gorgé à souhait de mots "ouvertement ou sournoisement machistes". Avec la lexicographe Marie Deveaux, il a décidé de les débusquer, de les recenser et de les analyser dans un livre mordant #Balancetonmot, publié ce jeudi 14 mars aux Editions Plon. "Au final, l'idée est d'éliminer petit à petit ces mots qui n’ont d’autre utilité que d’insulter, mépriser, rabaisser les femmes, déclare-t-il à LCI. Alors que le 'politiquement correct' a imposé la technicienne de surface et autres hôtesses de caisse, attaquons-nous désormais au 'sexuellement correct' !", clame-t-il.

Poule, bécasse, dinde, morue... : je n'avais pas réalisé à quel point le vocabulaire animal était réservé à la gent féminine. C'est quand même terrible.
Jean-Loup Chifflet, auteur

Les deux auteurs, partis à la chasse aux mots machistes, les ont classés en plusieurs catégories. Parmi elles, les vocables qui n'ont pas de masculin, ceux qui deviennent péjoratifs au féminin, sans oublier les divers noms d'oiseaux ou autres animaux qui servent à qualifier les femmes. "Je n'avais pas réalisé à quel point le vocabulaire animal était réservé à la gent féminine. Les plus courants étant poule, bécasse, dinde, morue, et j'en passe... c'est quand même terrible. Quand on dit : 'tu as vu, elle a l'air d'une poule', ce n'est quand même pas très reluisant", note Jean-Loup Chifflet.

Parmi les mots qui ne s'appliquent qu'aux femmes, Jean-Loup Chiflet et Marie Deveaux pointent du doigt les termes "garçon manqué". "Pourquoi cette fille qui prend des allures de garçon est-elle 'manquée' plutôt que garçonnière ? Lui manquerait-il quelque chose ?", interrogent-ils. "Et que penser de 'gendarmette' ? Pourquoi ajoute-t-on ce suffixe qui sert aussi à désigner une forme plus petite - maison, maisonnette -, alors que l'on peut dire une femme gendarme ? Une gendarmette est donc une petite gendarme !".

Mais pour Jean-Loup Chifflet, le terme le plus représentatif du machisme de notre langue est sans nul doute le mal nommé "Marie-couche-toi-là". "Vous en connaissez, vous, des Raymond ou des Marcel-couche-toi-là ?, demande-t-il. Personne n'a en effet l'idée de traiter de la sorte un homme qui accepterait facilement d'avoir des relations sexuelles. Et pourtant ils sont nombreux." Quant au fameux "mal-baisée", réservée manifestement qu'aux femmes, là encore, Jean-Loup Chifflet s'emporte : "Une femme qui n'est pas comblée sexuellement serait forcément responsable, puisqu'il n'y a pas de 'mal-baiseur', quelle drôle d'idée !". 

Des mots péjoratifs au féminin

Il y a également une foule de mots qui, en passant du masculin au féminin, prennent une connotation péjorative. Ainsi, les hommes peuvent être des courtisans, des entraîneurs, être bons ou encore faciles. Mais mettez ces mots au féminin et leur sens changent radicalement, avec dans la plupart des cas, une connotation sexuelle pour le moins peu ragoûtante. "Si le courtisan a plutôt une image d'homme charmant, la courtisane, elle, est une prostituée", interpelle Jean-Loup Chifflet. "Quant à l'entraîneur, il coache un sportif, là où l'entraîneuse est suspectée de faire profession de ses charmes. Et que dire d'une femme facile ? C'est une femme qui couche facilement. Aucune connotation sexuelle en revanche pour l'homme 'facile', qui se contente d'être gentil et de bonne composition".

Autre hérésie, les mots qui n'ont tout simplement pas de féminin : "On dit 'je suis gourmand, elle est gourmande, mais pas je suis gourmet, elle est gourmette ! A croire que quand le goût devient raffiné, il n'est réservé qu'aux hommes", insistent les auteurs. "Un gentleman n'a pas de gentlewoman. Même chose pour notre gentilhomme français, aucune 'gentilfemme' à l'horizon.

Des expressions peu élégantes à l'égard des femmes

Enfin, les auteurs recensent quelques expressions peu élégantes à l'égard des femmes. On notera pèle-mêle : "Faire la jeune fille de la maison". "Une expression que l'on peut encore entendre dans certaines familles. Il s'agit en général de  demander à la benjamine de faire le service quand il y a des invités. Mais pourquoi ne demande-t-on pas de 'faire le jeune garçon de la maison ?", questionne Jean-Loup Chifflet. Ou encore : "Cherchez la femme !" "Voilà une expression sans ambiguïté qui nous fait savoir qu'à chaque fois qu'il se produit quelque chose de désagréable, c'est forcément une femme qui en est la cause", explique-t-il. 

Plus graveleux : "Nique ta mère". "Voilà bien une expression réservée aux jeunes mâles. Jusqu'à preuve du contraire 'nique ton père' n'existe pas, avance Jean-Loup Chifflet. Et que dire de l'usage immodéré du mot 'couilles' dans nos expressions familières, à l'image du fameux 's'en battre les couilles'. Je n'ai jamais entendu : 'Je m'en bats la poitrine'. Toutefois les mentalités sont en train de changer. Comme me l'a rapporté une amie professeure dans un quartier difficile, il paraît que les filles disent maintenant : 'Je m'en bats le clito'. Elle n'a pu que s'en féliciter, et moi aussi par la même occasion !".


Virginie FAUROUX

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